Avec comme double objectif de retrouver le produit d’un cambriolage dont ils furent les victimes, mais aussi leurs auteurs, deux hommes en ont entraîné cinq autres dans une « chasse à l’homme ». Une tendance actuelle de se faire justice qu’il faut contrer pour le parquet.
C’est l’histoire d’un règlement de compte. D’une opération punitive même. Ils sont sept à être prévenus ce mercredi, et ils sont tous dans la salle. Appelés à la barre, l’un les mains dans les poches, l’autre, les bretelles défaites qui tombe sur les fesses… le juge Emmanuel Planque recadre tout ça avant de décliner les identités, surnoms y compris, et les faits.
En dehors de A.H. natif de Barakani (Anjouan), tous sont français, nés à Bandraboua ou Mamoudzou. Seuls deux frères O.A. et M.A., les plus âgés, travaillent, ils ont tous deux une mention de conduite sans permis et sans assurance au casier judiciaire. Les autres sont sans emplois et vivent chez leurs parents. Pour survivre ? « Je me démerde », dira Y.D., dans cette expression passée dans le langage courant à Mayotte qui traduit, comme c’est le cas, des ventes sporadiques de fruits et légumes cultivés dans les campagnes.
C’est dans la nuit du 22 au 23 septembre 2013 que tout a commencé. La maison des parents de O.A. et M.A. est cambriolée : un ordinateur portable, une télévision écran plat et de l’argent sont dérobés.
Les deux frères décident alors de mener leur propre enquête, « une chasse », selon le juge Planque, au cours de laquelle ils rameutent leurs amis, « ils trainaient à Dzoumogné », précisent-ils, et finissent par trouver un jeune suspect H.M. Ils l’embarquent dans leur voiture, un 4×4 Navara, le giflent, puis le ramènent.
D’ailleurs, à la barre, M.A. fixant durement le jeune H.M. de 16 ans et demi, n’hésitera pas à prendre le président Planque à témoin « voyez ! Il suffit de le regarder pour savoir que c’est un voleur ! » C’est peu de dire que l’homme de loi faillit s’étrangler, « je vous rappelle qu’il n’est pas accusé, mais victime ! Et vous, avez-vous la tête d’un prévenu ?! »
Même position de la part de son frère, O.A. dont le témoignage vaut presque un Audiard : « c’est vrai qu’on l’a un peu bousculé le p’tit jeune, on lui a mis un p’tit coup de pression, quoi ! »
Bâillonné et attaché
Chez les autres jeunes, on convient de cette « pression », et s’adressant aux juges, « on s’est dit que vous alliez attraper les voleurs et les laisser partir », alors que O.A. et M.A. baissent d’un ton, « on voulait juste retrouver les affaires, notre père a besoin de son scooter, et notre mère de la télé pour les enfants ». Mais le juge n’en démord pas, « vous continuez à divaguer ! ».
Car la « chasse » n’est pas finie. A bord de sa camionnette professionnelle, M.A. et sa bande barrent la route à un taxi où se trouve un autre auteur présumé du cambriolage, l’embarquent à bord, l’isolent prés de la retenue collinaire de Dzoumogné où ils le frappent avec des bambous et bâtons à épines, le bâillonnent et l’attachent à un arbre à pain. Le jeune s’en sort avec 4 jours d’ITT (Interruption temporaire de travail).
Le troisième acte de vengeance sera dirigé contre K., qu’ils débusquent devant sa femme, alors que O.A. lui lance « la loi, ici, c’est moi ! », avant de le frapper au visage et de l’emmener à la cascade de Soulou.
Un an et demi est passé depuis les faits, le juge Planque s’interroge et les questionne : « vous pensez quoi de tout ça ? » Ils regrettent tous, certains pour les conséquences éventuelles que peut avoir le jugement sur leurs vies personnelles, et c’est à l’issue d’une audience qui agit comme une thérapie que O.A. reconnaît qu’il aurait du porter plainte.
Tendance à se faire justice chez la population
Un fossé entre la perception du droit, comme certains ont une perception de la délinquance…, et l’application d’une loi pas encore comprise. Une réalité mahoraise, des affaires qui se réglaient à l’intérieur des familles ou des villages, et qui incitait la représentante du parquet à demander justement : « pourquoi n’êtes-vous pas allés voir les parents des victimes pour discuter ? » Les nez se baissent, les regards au sol.
Une substitut qui souligne la présence de tous les prévenus, qui admet qu’on veuille retrouver les objets volés, mais qui sera très ferme dans ses réquisitions, « au regard de la tendance actuelle de la population qui tend à se faire justice elle-même. La fin ne justifie pas les moyens ». Elle demandera des peines de 5 et 6 mois de prison ferme pour les deux frères meneurs, et des travaux d’intérêt général pour les autres, une solution qu’elle juge adaptée à l’inactivité de ces jeunes.
Le délibéré lui donne en partie raison puisque O.M. est condamné à 12 mois de prison dont 2 fermes, M.A. à 8 mois dont 4 fermes. Ils ne partent néanmoins pas en prison et devront plaider leur aménagement de peine devant le juge d’application des peines, puisque M.A. est à la tête d’une entreprise de 30 salariés. De la prison avec sursis et mise à l’épreuve pour un troisième, et 150 à 200 heures de travaux d’intérêt général aux autres.
Ils ont bien retrouvé les objets volés, dont certains à Anjouan trois mois après, et l’on ne saura pas si le jeune présent, au statut de victime, accompagné de sa mère était bien l’auteur du cambriolage.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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