Les spécialistes du Conservatoire botanique national de Mascarin ont posé leur tente durant la semaine sur l’îlot Mtsamboro. Ils poursuivent leur inventaire du trésor oublié de Mayotte : sa flore.
Du sommet de la colline, la vue est imprenable sur le lagon et ses plus belles nuances de bleus. Sur les hauts de l’îlot Mtsamboro, au Nord de Mayotte, Valérie et Rachidi s’arrêtent un instant pour en profiter : «c’est vraiment magique» s’exclame Rachidi. Et puis leur regard est attiré par un bosquet de tiges vertes : «Tiens, du coco bois» lance Valérie qui le coche sur une longue liste.
Carnet et stylo en main, Valérie et Rachidi ont crapahuté tout au long de la semaine entre les branchages et les lianes, sur les dunes et le long des falaises de l’îlot Mtsamboro. Ils font partie de l’équipe des scientifiques du Conservatoire botanique national du Mascarin (CBNM) qui a mené une mission scientifique sur l’îlot tout au long de la semaine, accompagnée d’ornithologues, de botanistes amateurs ou encore de membres des naturalistes de Mayotte.
«C’est la première fois que nous nous installons autant de temps quelque part» explique Valérie. Depuis le début de l’année, les botanistes du CNBM ont arpenté l’essentiel du département avec leur fameuse liste : les quelques 1300 espèces végétales que compte Mayotte. Leur mission : inventorier l’intégralité de la flore du département. Un travail titanesque jamais réalisé avec une telle précision.
50 espèces endémiques
A ce jour, les botanistes estiment qu’environ la moitié des espèces sont exotiques, elles ont été introduites à Mayotte. Mais on trouve aussi plus de 700 espèces indigènes, typiques de la région, et une cinquantaine d’endémiques, présentes exclusivement à Mayotte. «On trouve ici un nombre et une diversité d’espèces qui est réellement très impressionnant pour un territoire aussi petit» précise Valérie.
Et au cours de leurs missions, les botanistes du CBNM ont découvert des plantes jamais décrites par la science. «Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne trouve pas seulement de petites choses camouflées dans de sombres recoins. Ce sont parfois des arbres d’une quinzaine de mètres de haut avec des troncs mesurant plus d’un mètre de diamètre qui s’élèvent sur les crêtes des montagnes !» se réjouit Guillaume Viscardi, le responsable du Conservatoire, facilement reconnaissable à ses dreadlocks.
Les crêtes, c’est là que se trouvent les perles de la flore mahoraise. Ce sont souvent les seuls endroits qui ont réussi à préserver une forêt primaire, jamais coupée. «De la fin du XIXe siècle au début du 20e, quasiment tout Mayotte a été défriché et cultivé, explique Guillaume. Et puis, ensuite, la forêt a regagné du terrain. Depuis les années 90, on assiste à nouveau à un recul massif des espaces sauvages.»
Mayotte devient un désert vert
Mayotte est confrontée à une explosion démographique sans précédent, les habitations et les cultures grignotent toujours plus d’espaces. Bananiers et maniocs poussent désormais à côté des manguiers et autres arbres fruitiers, les seuls grands arbres préservés de l’abattage grâce à leur utilité évidente. A ces cultures s’ajoute aussi le charbonnage sauvage. Mayotte devient peu à peu, ce que les scientifiques dénomment un «désert vert». L’apparence verdoyante de nature sauvage n’est qu’une illusion : les sols sont cultivés et les arbres ne sont plus que des fruitiers.
Sur l’îlot Mtsamboro, la situation n’est pas non plus très glorieuse. Si les botanistes ne savaient pas ce qu’ils allaient découvrir, ils sont allés de déconvenues en déconvenues. Il y a certes quelques espèces protégées, de la vanille ou des orchidées, mais l’îlot est globalement très abîmé. «On sait que Mtsamboro a été mis en culture depuis longtemps, raconte Benoit, un autre botaniste du CBNM. Notre surprise a été de voir les bananiers grimper aussi haut sur les hauteurs.» Et le phénomène semble s’accélérer. A de nombreux endroits, des brûlis récents font mourir les grands arbres pour dégager des espaces pour la culture.
Un tourisme de braconnage
Et les côtes aussi sont malades. «On devait avoir les plus belles zones dunaires de Mayotte avec une végétation particulière. Aujourd’hui, on ne peut que l’imaginer». Car à côté des allers et venues des Mahorais qui cultivent plus ou moins légalement les terres, les côtes doivent aussi supporter l’arrivée des migrants déposés illégalement sur l’îlot, sans parler du tourisme.
Les bivouacs non encadrés et non respectueux détruisent peu à peu ces très belles zones côtières laissant une végétation piétinée et des monceaux de détritus.
Et il n’y a pas que la végétation qui en souffre. Un tourisme du braconnage semble se développer sur l’îlot : certains y viennent pour manger de la tortue braconnée. Les botanistes sont tombés, mercredi soir, sur un massacre, une tortue dépecée avant d’avoir eu le temps de pondre.
Comme souvent, il ne faut pas désespérer face à une nature maltraitée. Partout dans le monde, on sait qu’elle peut se régénérer à condition d’intervenir pour stopper le désastre annoncé. Les botanistes ont prélevé des graines et des branches pour réaliser plantations et bouturages. Avec dans l’idée de préserver un peu du patrimoine génétique de cette flore. Avec aussi le projet de pouvoir réintroduire des espèces menacées.
Si cette flore est un des trésors de Mayotte, on ne peut plus la négliger à moins d’accepter sa disparition programmée.
Rémi Rozié
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