Il faut d’un côté peser à Paris sur les projets de loi pour défendre Mayotte, et de l’autre inciter sur place le conseil général à être moteur de croissance : le député Aboubacar nous parle de son combat et livre un constat peu encourageant des élus locaux à quelques jours des élections.
Peu de ministères ont échappé aux nombreuses interpellations du député mahorais Ibrahim Aboubacar ces dernières semaines. Nous nous en sommes fait l’écho car elles traduisent ce qui a fait défaut à Mayotte pendant de nombreuses années : un travail de lobbying au moment de l’élaboration des projets de loi, plutôt que de hurler à l’oubli quand on a mal.
La transposition des lois métropolitaines, et même leur extension à l’outre-mer, peut en effet être douloureuse : poursuivre la décentralisation quand le département ne gère pas encore les collèges et lycées, et mal le reste, intégrer le retard des prestations à l’agenda social du gouvernement…
Il en va de même pour la loi Santé, actuellement en débat, sur laquelle Ibrahim Aboubacar est intervenu : « le gouvernement réfléchit à l’amélioration du parcours santé centré autour du patient, mais il n’existe pas encore à Mayotte où peu d’entre eux ont un médecin traitant. Avec 9 médecins libéraux pour 100 000 habitants, je demande à concentrer les efforts sur des mesures facilitant leur installation : incitations fiscales et conventions avec les caisses de sécurité sociale de métropole ».
Par sa demande à la ministre Marisol Touraine de la mise en place de l’Aide médicale d’Etat (AME), le député voit plus loin que la simple prise en charge des non-assurés sociaux : « ils le sont de toute manière à Mayotte de manière informelle. L’AME va officialiser la situation, on pourra connaître ainsi la part des non-assurés sociaux ». Et dans les PMI (protection maternelle infantile), voir leurs frais médicaux pris en charge par l’Etat et non plus par le conseil général.
« Le conseil général doit faire preuve de créativité »
Une amélioration qui doit aussi toucher les 700 Evasan (évacuations sanitaires) annuelles, « dont le besoin réel est plus proche d’un millier », et qui permettrait de « désengorger les lits du CHM. »
Une situation sanitaire et sociale préoccupante quand on sait que 84% de la population de l’île vit sous le seuil de pauvreté, créant des inégalités, facteurs de délinquance, selon le député qui préconise une forte politique de l’emploi : « les mesures gouvernementales ont permis de signer 3 500 emplois aidés à Mayotte en 2014, et 550 Emplois avenir, soit 1% des mesures nationales quand nous représentons 0,3% de la population française ». Avec cependant une proportion de population en âge de travailler plus importante qu’en métropole.
Mais il faut aller plus loin, et le conseil général doit être le moteur. Le député précise sa pensée à travers les trois principaux leviers de croissance qu’il envisage pour le territoire, « en dehors de l’agriculture-pêche-tourisme » : « l’économie sociale et solidaire dont les dispositifs métropolitains ne sont pas transposables à Mayotte, et pour lesquels le conseil général doit faire preuve de créativité, l’économie liée au numérique où nous sommes très en retard et qui nécessite un Plan pour le développer dans l’éducation, le service public ou l’ensemble des secteurs économiques, et enfin, la transition énergétique où le département doit réfléchir sur les modèles d’énergies renouvelables et non pas attendre les autres et se contenter de copier ! »
Valls en mai ou juin
Le problème de compétences ne se pose pas selon l’ancien vice-président du conseil général : « il suffit d’attirer les entreprises innovantes et de faire appel à des cabinets de conseil ». Et puis former.
« Les élus veulent des compétences supplémentaires mais n’assurent déjà pas les leurs »… Faisant ce constat, Ibrahim Aboubacar avait demandé à la ministre Pau-Langevin un état des lieux des domaines d’action du conseil général à Mayotte avant toute poursuite de décentralisation : « quand un vice-président porte plainte contre son DGA au motif de compétences non exécutées, c’est un peu comme s’il portait plainte contre lui-même. C’est la preuve qu’ils ne savent pas qui est qui, que la décentralisation n’est pas aboutie ».
Le député rappelle que la ministre des Outre-mer attend les propositions des élus locaux pour une évaluation.
Une campagne à côté des enjeux
Outre ces attentes d’une collectivité dynamique, il souligne que les futurs conseillers départementaux auront la durée pour eux : « 6 ans et non plus 3 ans, ils pourront se projeter avec l’aide de deux dispositifs financiers complémentaires, le Contrat de projet Etat-région et les fonds structurels européens, réunissant plus de 400 millions d’euros sur la période 2014-2020. Ajouté au document de rattrapage Mayotte 2025 ».
Des préoccupations qu’on a du mal à retrouver dans les programmes des élus en campagne : « nous n’allons pas élire des conseillers pour qu’ils construisent des MJC ou des plateaux sportifs, du domaine du maire. Ils doivent faire campagne sur ces compétences de département et de région».
L’action d’Ibrahim Aboubacar prépare aussi l’arrivée du premier ministre Manuel Valls à Mayotte pour prendre livraison du document Mayotte 2025, « en mai ou en juin ».
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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