Pendant deux jours, la cour d’assises de Mayotte instruit en appel l’affaire de l’infanticide de Bandrélé. Le couple a été lourdement condamné en 1ère instance en 2012. Le tribunal replonge dans l’horreur de ce dossier.
Exposé des faits, expert psychiatre, médecin légiste… Chaque élément du dossier a été présenté sobrement, chaque spécialiste a parlé de façon technique. Et pourtant, ce lundi matin, personne n’a jamais oublié de quoi on parle, de qui on parle.
Une femme et un homme comparaissent pendant deux jours pour répondre de violences volontaires ayant entraîné la mort. Une mère et un beau-père auraient maltraité un enfant jusqu’à le faire mourir. Le petit garçon se prénommait Ysack, il était âgé de 3 ans. Il mesurait 1,02 mètre et pesait 12 kg.
Ils ont déjà été condamnés en première instance en décembre 2012 à de lourdes peines : 20 ans de prison pour l’homme, 18 ans pour la mère. Ils ont fait appel du jugement. L’affaire est à nouveau instruite devant les magistrats professionnels et 6 jurés populaires à Kawéni.
Un enfant martyr
Et le tribunal plonge dans l’horreur. L’émotion est lourde dans la salle d’audience du tribunal de Mamoudzou, dès la présentation des faits.
Le 21 août 2011 vers midi, une infirmière de l’hôpital de Mramadoudou voit arriver le couple avec un enfant «en état de mort apparente». Elle tente de le ranimer mais il est déjà trop tard. Pour elle, aucun doute, «c’était un enfant martyr», explique-t-elle en visioconférence depuis la métropole où elle exerce à présent.
De fait, les conclusions des médecins ne laissent place à aucun doute. «L’enfant présentait une centaine de lésions», détaille le médecin légiste, en visioconférence de La Réunion. Son corps est recouvert de plaies superficielles bénignes et des lésions plus profondes. «C’est la première fois que je vois un patient avec autant de plaies», témoigne ce médecin âgé de 48 ans. Ces marques ont été causées par des coups avec des objets contondants, tranchants, piquants.
Des coups pour des cacas
L’enfant subissait depuis quelques semaines les colères de sa mère et de l’homme avec lequel elle vivait à ce moment-là. Le motif : l’enfant n’était pas propre. «Quand on lui disait de ne pas faire caca quelque part, il faisait quand même», dit le beau-père aux enquêteurs. Caca à la culotte, au lit, dans la cour… Le couple ne le supporte plus. Alors, on le punit à coup de bâtons, de shengwé (martinet), de fil de fer, de tiges de manioc. Sa mère lui donne des coups de poing dans le dos et un jour, elle lui aurait même demandé de manger ses excréments.
Le petit garçon est mort d’un œdème cérébral, une hémorragie dans la partie droite du cerveau, «un hématome comparable à ce que l’on voit au moment des accidents de la route», explique le Docteur Thierry Pélourdeau, radiologue au CHM. L’origine ? Des «traumatismes violents ou répétés». Peut-être une chute. Peut-être un ultime coup qui aurait provoqué une lésion fatale ?
Quatre enfants à 18 ans
La personnalité des accusés est complexe. La mère est née à Mohéli en 1990. A la barre, cette petite femme, un peu ronde, se cache du public derrière un voile orangé. Arrivée en kwassa à l’âge de 8 ans à Mayotte, elle reste peu de temps chez sa mère, «une femme méchante». Elle s’enfuit au bout d’un an pour s’éloigner aussi du compagnon de sa mère qui abuse d’elle. A partir de ce moment-là, la maltraitance devient sa vie. Un premier enfant à 13 ans, des jumeaux à 14, son 4e gamin à 18 ans… «Elle construit des relations marquées par la violence», note un expert psychiatre. Le spécialiste note aussi des «colères inadaptées» face à un enfant pour lequel elle n’a que peu d’affection.
A la naissance du petit, le 18 mars 2008, la vie avec le père est déjà une histoire ancienne. L’enfant n’était pas désiré. L’homme serait même monté sur son ventre pour la taper à l’annonce de la grossesse… «pour faire partir le bébé ». Quelques mois avant le drame, elle a refait sa vie avec un homme qui semble lui aussi violent.
Bien trouvés
Il est né à Bandrélé en 1976 et y a vécu une enfance «difficile». Elevé par sa grand-mère, victime d’un viol quand il était enfant, il arrête sa scolarité en 4e avant de tomber dans un trop plein d’alcool momentané.
«Deux personnes qui se sont bien trouvées ?» demande Me Préaubert, l’avocate de la partie civile. «Deux personnes qui avaient des difficultés sur le plan affectif», rectifie le psychiatre.
Pas grand monde se souvient de ce petit qui vivait avec eux. Il restait dans la maison et dans la cour et ne sortait jamais dans la rue à tel point que l’épicier, qui aurait pu vendre des couches à la famille, n’en avait jamais entendu parler.
Le procès doit s’achever ce mardi avec un verdict attendu dans l’après-midi. Me Chauvin et Me Simon, respectivement avocats de la mère et du beau-père vont tenter de faire valoir les personnalités et au-delà des maltraitances, le rôle de chacun de la mort d’Isaac. On ne sait quels mots Zola aurait choisi pour parler de ces vies.
RR
Le Journal de Mayotte
Comments are closed.