La session actuelle de la cour d’assises de Mayotte approche de la fin et les jours d’audience qui se suivent, ne se ressemblent pas. Hier mercredi, c’est un verdict surprise qui est tombé dans une affaire de violences familiales et de viol conjugal.
«Scandaleux». Pour Me Céline Cooper, l’avocate de la victime, ce qualificatif était le seul qui convienne après la décision de la cour d’assises de Mayotte ce mercredi.
Fabrice K. venait d’être relaxé des faits de viol commis par conjoint, condamné à 2 ans de prison avec sursis et mise à l’épreuve pour des violences commises contre son épouse, tandis que les faits de violences contre sa fille étaient jugés prescrits.
Les magistrats et les jurés n’ont donc pas suivi les réquisitions de l’avocat général Prampart qui demandait 7 ans de prison ferme avec mandat de dépôt… Même l’avocat de la défense, Me Julien Chauvin, n’en demandait pas si peu.
Cour d’assises a minima
Tout au long de la journée de ce procès, on s’est demandé devant quelle juridiction on était. Devant le juge des affaires familiales, tant on est entré dans les détails de l’intimité de ce couple et de ses trois enfants ? Devant le tribunal correctionnel ? Absents, injoignables, indisponibles… Aucun expert ni témoin n’est venu physiquement ou par visioconférence éclairer le tribunal qui s’est contenté d’écouter des lectures des rapports et des auditions. Même la 2e partie civile, la jeune fille qui attaque son père, n’a pas pu raconter son histoire depuis la métropole : cette fois, c’est le matériel qui ne fonctionnait pas.
Seul un gendarme témoignait depuis sa nouvelle affectation, en Alsace. Mais ce n’était pas celui que souhaitait entendre la cour, il n’avait pas réalisé les auditions de garde à vue.
On était donc devant une cour d’assises a minima pour juger des faits de viol par conjoint, une disposition qui n’existe que depuis 2006. Auparavant, pour la justice, la présomption de consentement dans les rapports sexuels prévalait dans un couple.
Une jeune fille dénonce son père
Cette affaire a démarré de façon peu banale : le 26 septembre 2011, une jeune fille de 17 ans appelle la gendarmerie alors que son père vient de la mettre dehors et de taper sa mère, une nouvelle fois. Elle n’en peut plus du climat familial et de voir sa mère se faire battre. La femme veut regarder un film, monsieur n’est pas d’accord. Elle rate la barge et rentre tard, monsieur est en colère. Elle va chercher un citron chez sa voisine, appelle son frère au téléphone… Il gueule, il frappe.
Mais c’est la nuit que le pire se joue. «Parfois, ma mère gémit, des fois elle sanglote», racontent les enfants qui sont réveillés presque toutes les nuits par les disputes, les insultes, les claques, les relations sexuelles bruyantes ?
Durant l’instruction, Fabrice K. reconnait lui avoir imposé des rapports alors qu’elle ne voulait plus. Mais à la barre, il nie farouchement la notion de viol : «quand on a commencé, il faut aller au bout». L’archétype du tyran familial qui n’admet pas qu’on le «prive de ce qui est un droit».
Une histoire complexe
Entre Zakia et Fabrice, l’histoire est complexe. Ils se sont mariés en 1994. Séparés en 2000, divorcés en 2002, ils se sont remis ensemble en 2004. Les infidélités de monsieur sont régulières, «il a parfois recours à des professionnelles», explique un rapport d’expert, mais ce sont les infidélités supposées de madame qui rendent le mari jaloux et colérique. Les rapports sexuels sont alors violents : «puisqu’elle va voir ailleurs, je vais doubler la dose.»
Mais voilà, à la barre, l’audition de Zakia ne se passe pas bien. Elle a du mal à décrire ces violences et encore plus les viols. Et le tribunal se met à douter : a-t-elle expressément fait savoir qu’elle ne voulait pas de rapports sexuels ? Et puis, des éléments périphériques vont faire douter de la parole de cette femme qui a été renvoyée de la Colas après des soupçons de malversations portant sur de grosses sommes d’argent.
Les doutes profitent à l’accusé
Me Cooper, comme le juge Schmitt, va mener un long interrogatoire serré de l’accusé, s’appuyant sur les déclarations des deux jeunes qui dénoncent les agissements du père tout en disant continuer à l’aimer. «Un enfant prend toujours la défense de la maman», tranche Fabrice K.
Ce sont donc les doutes, finalement, qui ont profité à l’accusé. Fabrice K. devra tout de même verser 2.000 euros de dommages et intérêts à sa fille et 4.000 à son ancienne épouse.
RR
Le Journal de Mayotte
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