CARNET DE JUSTICE DU JDM. Si la justice doit être la même partout, ce mercredi matin, l’audience aurait mérité d’être moins détachée du contexte mahorais. Le tribunal correctionnel instruisait l’affaire des deux chiens battus à mort par une foule en colère à Mtsapéré.
Ces affaires de chiens sont toujours sensibles à Mayotte, où la culture et la religion s’entremêlent sur fond de rapport aux animaux très différent en fonction des origines, jusqu’à provoquer un malaise profond.
L’affaire avait d’ailleurs soulevé les passions, le 25 février 2014. Ce soir-là, dans le quartier Bonovo à Mtsapéré, deux familles rentrent de leur journée de travail. Elles habitent l’une à côté de l’autre et jusqu’alors, leurs relations sont cordiales. Elles cultivent même ensemble une parcelle de terrain à la campagne.
Mais il y a ces deux chiens.
La colère de la foule
La propriétaire des animaux, arrive avec son mari et sa fille qui ouvre le portail. Un des deux chiens sort de la maison et fonce sur le petit garçon des voisins. Le gamin est renversé, le chien le griffe. La femme se précipite à son tour pour rappeler l’animal. Très vite, les habitants du quartier se massent, les tensions montent.
Le père de l’enfant est en colère. Avec «la foule», il demande que la femme lui livre ses chiens, aussi bien celui qui s’en est pris à l’enfant que le deuxième, une femelle qui est pleine. Face aux menaces, la propriétaire n’a pas d’autres choix que donner les animaux. Ils sont battus à mort, l’un d’eux est même décapité. Les carcasses déchiquetées sont ensuite jetées dans le jardin des propriétaires.
L’agressivité et ses raisons
Dans cette affaire, les deux sont à la fois parties civiles et prévenus. La femme est poursuivie pour blessures involontaires «par violation délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence». Elle aurait dû faire en sorte que son chien ne sorte pas de chez elle. L’homme doit répondre de «sévices graves ou acte de cruauté envers un animal domestique».
La justice avait demandé un complément d’enquête qui n’a apporté que peu de précisions. Il apparaît que ces chiens étaient relativement agressifs. Mais leur comportement était aussi une réponse aux jets de cailloux dont ils étaient régulièrement victimes de la part des enfants du quartier.
Rien en revanche pour identifier qui a précisément tué les animaux.
«La barbarie» à l’égard de ces animaux est «inadmissible pour notre société», scande Me Préaubert, l’avocate de l’association Gueules d’amour et de la fondation Brigitte Bardot, parties civiles. Les chiens sont d’ailleurs protégés par la loi en tant qu’êtres vivants dotés de sensibilité et ces actes de cruauté peuvent être punis par une peine de 2 ans de prison. Elle demande 800 € de dommages et intérêts pour chacune des deux associations. Me Soihili, au nom de la SPA, la société protectrice des animaux réclame, lui, 2.000 euros.
La procureure Elise Tamil relevait que si la loi protège les animaux, elle protège aussi les humains. Ce n’était ni au père ni à la foule de se faire justice. Après une plainte, un chien peut être euthanasié s’il se révèle dangereux.
Elle requiert des peines de prison avec sursis: 9 mois pour le père de l’enfant qui avait accompagné la foule dans le lynchage, et 3 mois et 500 euros d’amende pour la propriétaire des chiens.
Barbarie des propriétaires
Du côté de la défense, deux stratégies bien différentes. Me Chauvin qui rappelait –enfin !- le contexte des chiens à Mayotte, s’est surtout attaché à faire du droit : où sont les preuves de l’agressivité des chiens, de la clôture défaillante, des blessures sérieuses de l’enfant alors que le certificat médical ne parle que de griffures et d’un seul jour d’ITT ?
Me Kondé, l’avocat de l’enfant et de son père, tentait de retourner la notion de barbarie. «La barbarie, c’est d’avoir des chiens non vaccinés», a-t-il plaidé. C’est aussi de faire peur aux voisins avec des animaux agressifs qui empêchent les gens de passer dans une rue, «des gueules d’amour qui sont aussi des gueules agressives et des gueules qui peuvent être tueuses.»
Alors que les dommages et intérêts seront tranchés en audience civile ultérieurement, le jugement sur le fond du dossier est mis en délibéré au 15 avril.
En attendant, le président Sabatier invitait chacune des parties, qui ont fait un pas l’une vers l’autre au cours de l’audience, à tenter, «en tant que citoyens et en tant que voisins à trouver un apaisement.»
RR
Le Journal de Mayotte
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