On applique à la délinquance les mêmes remèdes à Mayotte qu’en métropole, alors qu’on sort d’une culture où la sanction était très (trop) sévère. Une adaptation s’avère nécessaire.
Les véhicules qui se font caillasser presque tous les samedis soirs dans la montée de la Sogea, les cambriolages à répétition, les coups de couteau en menace, puis assénés… Si la violence est malheureusement universelle, elle n’était que marginale à Mayotte il y a encore 6 ans. L’année 2011 lui a offert une belle porte d’entrée.
En tolérant en novembre de cette année-là, que des jeunes puissent ériger des barrages à Koungou et Majicavo, en rançonnant les automobilistes sous les yeux de gendarmes qui avaient reçu l’ordre de ne pas intervenir, on a légalisé la délinquance. Que les forces de l’ordre aient été, et soient toujours, en sous-effectifs et difficilement en position de libérer durablement la route est un autre débat, les jeunes se sont sentis tout-puissants.
Mais 2011, c’est aussi l’année de la départementalisation et l’application de l’arsenal judiciaire qui va avec. La bascule avait déjà été faite, mais les jeunes autrefois souvent très durement sanctionnés par leurs parents, ou par les foundis dans les écoles coraniques, lorsqu’ils commettaient des écarts, se sont retrouvés face à des leçons de morale. Et sous le coup de “rappel à la loi” qu’ils ne comprennent pas et dont l’expression n’a aucune équivalence en shimaoré.
Punir concrètement les parents
Pour la population, c’est l’incompréhension. Et il faut ne jamais avoir discuté avec les villageois pour s’en étonner. Des habitants qui sont interloqués quand ils apprennent que ceux qui se sont fait justice se retrouvent à la barre, et ne comprennent pas que pendant ce temps voleurs et caillasseurs se pavanent dans la rue.
Peu de contribution pour le délinquant ou sa famille en réparation du délit. Même si les parents sont systématiquement condamnés en solidarité avec leurs enfants, comme nous l’indiquait le procureur, les effets ne se font pas sentir, les parents étant souvent insolvables.
Car la population attend des sanctions fermes qui ne viennent pas. La saisie de télévision écran plat lorsque les parents déclarent ne pas pouvoir payer l’amende, n’est pas considérée comme une alternative pour le monde judiciaire. « Pourtant, deux ou trois exemples bien médiatisés auraient à coup sûr un impact », selon un fin connaisseur de la culture locale. Aider les parents à reprendre en main leurs enfants est aussi le rôle de la société.
Règlements de compte
Il est toujours étonnant de voir que certains domaines n’offrent aucun assouplissement apparent, quand d’autres, comme le Code du travail, sont dérogatoires par rapport à la métropole ou l’Outre-mer.
Il y a un an, le vice-recteur s’adressait aux parents en des termes de fermeté, « ne subissez pas vos enfants », en avouant ne pas hésiter lui-même à donner « une raclée aux siens ». En métropole pourtant, il aurait été critiqué pour moins que ça.
Face à l’absence de réaction, des règlements de comptes sont à craindre. Un corps a été retrouvé dans la mangrove dimanche dernier à Hajangua. Si nous sommes dans ce cas de figure, nul doute que les auteurs seront très sévèrement jugés.
Une réflexion décomplexée
Mais que propose la justice à la société ? Certains réclament des maisons de correction améliorées, avec éducation et cadre strict pour les jeunes. Quant aux travaux d’intérêt général, ils ne sont pas encore utilisés dans toutes les mairies.
Mener une réflexion sans complexe, c’est se donner une chance de stopper une partie de la délinquance, celle qui concerne les mineurs vivant au sein d’une structure familiale. On l’évalue à la moitié des délits, mais parmi les autres un référent s’est souvent engagé à les prendre en charge. Des parents éloignés qui s’engagent souvent à la légère, sans vraiment protéger, éduquer, voire nourrir ces enfants arrivés clandestinement.
Un travail d’accueil de ces mineurs en amont est naturellement la condition sine qua non pour contenir le phénomène, et le conseil départemental a récemment indiqué en avoir saisi les enjeux.
Sans réaction rapide, un phénomène risque de venir compliquer les choses : le recours aux drogues comme la chimique ou “la mangrove” (ourouva), issue de feuilles séchées, qui rend les individus incontrôlables, parce qu’ils sont prêts à tout pour ne pas être eux-mêmes.
Il n’est plus possible d’accueillir des missions parlementaires pour parler développement agricole quand les cultures sont pillées, il n’est plus possible d’écumer les salons de tourisme quand au détour d’un sentier de randonnée, les rançonneurs guettent un chombo à la main, il n’est plus possible de parler de soirée du samedi soir quand, en deux heures d’absence, les maisons se font piller, comme cela s’est passé samedi dernier à Dembéni.
Une insécurité qu’on nous a fait avaler comme un sentiment. On pourrait répondre à ceux-là, que la population a aussi le sien, le sentiment d’être délaissée.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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