Un colloque sur les violences intra-familiales se tenait ce matin à Mamoudzou. A l’initiative de la préfecture, et sous le haut patronage du ministère des Affaires sociales, mais avec l’appui actif du Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) et du département. Avec comme heureuse conséquence un hémicycle Bamana rempli, avec la présence du procureur et de la gendarmerie.
Un partenariat appelé à se poursuivre si l’on en croit Issa Abdou Issa, le conseiller départemental en charge du social : « nous allons travailler avec le secrétaire général adjoint à la publication d’un annuaire du département avec des coordonnées précises pour les victimes potentielles. » Une thématique des violences familiales qu’il juge forte, « l’égalité sociale passera aussi par là. ‘La suprématie masculine est la dernière aristocratie’ », rapporte-t-il, citant Maria Deraime. En tout cas, le politique avance un sursaut du département, « pour changer de rythmes et de méthodes ».
Etienne Morel, le directeur de l’Hôpital, se réjouissait de la tenue de ce Colloque tout en affirmant que la formation du personnel était indispensable, « pour montrer de la compassion envers les victimes, surtout lors de l’accueil ».
Alors que plus de 216 000 femmes sont victimes de violence en France chaque année, elles sont 125 à Mayotte, indique Guy Fitzer, secrétaire général adjoint en charge de la cohésion sociale à la préfecture de Mayotte. « Il n’y a pas assez de dépôt de plainte, la honte doit changer de camp », martelait-il, « il faut développer le partenariat avec les associations, les éducateurs, les travailleurs sociaux et former les professionnels ».
Une écoute spécifique en gendarmerie et au commissariat
Il se réjouissait des mentalités qui changent au Conseil départemental et soulignait des séances d’information organisées par les mairies sur ce sujet. D’autre part, une cellule est en cours de création aux urgences du CHM, « elle deviendra une Unité médico-judiciaire à terme ».
Le sous-préfet annonçait un doublement des moyens de l’Etat, et la mise en place du 4ème Plan interministériel 2014-2016. Les trois premiers portaient successivement sur la modernisation de l’action publique, sur l’entourage familial, et, plus spécifiquement à Mayotte, sur les mariages forcés, la prostitution et la polygamie.
Les trois priorités de ce 4ème Plan étaient déclinées par Noéra Mohamed, Déléguée aux Droits de femmes à la Préfecture : « Aucune violence déclarée par une femme ne doit rester sans réponse. Pour cela, le gouvernement double d’ici 2017 le nombre d’intervenants sociaux dans les gendarmeries et les commissariats, soit à Pamandzi, Sada et à Mamoudzou pour Mayotte. La protection des victimes en objectif numéro 2, avec un téléphone ‘grand danger’ mis à disposition des femmes en danger, et la mobilisation de la société pour que la parole se libère. »
Polygamie et mariages forcés
Justement, les religieux étaient sollicités pour donner leur position. Si B. Assani, qui fait partie du Comité des sages de Petite Terre, commençait par souligner que « la véritable beauté de l’individu réside dans sa personnalité », il parlait du mariage comme étant autrefois une joie, mais désormais une crainte, et rappelait que le Coran n’avait pas autorisé la polygamie, « contrairement à de nombreuses interprétations ».
Et de citer des cas, très imagés, où la polygamie est autorisée, et où entre en considération, notamment, la longueur du sexe de l’homme « qui peut provoquer un cancer et donc le décès de sa femme ».
On n’en saura pas plus sur le rôle de la religion dans le non dit des violences intra familiales, alors qu’elle recommande de ne pas pardonner aux violeurs et interdit les mariages forcés.
42% de femmes victimes de violence à Mayotte
Des mariages forcés qui ne sont pas si nombreux que ça à Mayotte, selon le directeur de l’Acfav (Association pour la condition féminine). Face à la déficience de données chiffrées, un duo de médecins urgentistes O. Dupray et V. Thomas, s’est lancé dans une enquête de Dépistage des violences faites aux femmes (DEVIFFE)..
Sur 1 133 questionnaires recueillis de femmes de plus de 16 ans, 42% déclarent être victimes de violences, dont 25% à caractère physique et verbale, « un chiffre proche des autres îles de l’océan Indien ». Des violences qui s’exercent précocement puisqu’une jeune fille sur 10 s’en déclare victime.
Mais le fait marquant est le silence des femmes en grande vulnérabilité, « surtout si elles ne maitrisent pas le français ». 65% des femmes concernées par ces violences sont comoriennes.
En découlent trois propositions : affiner les résultats tout d’abord, par une enquête complémentaire, élaborer des campagnes d’informations et de préventions adaptées au public, notamment au niveau de la langue et briser le silence.
Intéressant donc d’entendre le témoignage de la médecin généraliste Anne-Marie de Montera qui parle du quotidien des médecins : « un entretien souvent difficile par la présence contrôlante du conjoint, mais surtout une question sur les violences que le professionnel n’ose pas poser tant elle suppose une prise en charge pour laquelle il est démuni ». Le manque de temps est aussi invoqué, sur une terre désertée par les médecins.
Beaucoup de données à gérer donc, dont certaines seront plus longues à mettre en place, mais l’union faisait la force ce matin lors de ce colloque : « Toute étude sur la violence conduit à l’action », constataient les auteurs de l’enquête.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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