Les actionnaires réunionnais de la société de manutention portuaire SMART sont actuellement à Mayotte. Ressortis satisfaits d’une réunion avec Ida Nel hier, ils s’estiment aujourd’hui trahis. Lors d’une conférence de presse, ils livrent leur analyse de la situation en dressant un parallèle avec La Réunion.
Le PDG de la société de Coopérative ouvrière de La Réunion (COR), Jean-Daniel Clotagatide, 17% de participation dans la SMART, voulait rencontrer Ida Nel, concessionnaire avec MCG du port de Longoni, pour tenter de trouver une solution à la situation de blocage : « nous avons été très bien accueillis par Ida Nel hier, avec une discussion dans un climat serein et ouvert. Elle nous a fait part de son désir de laisser la manutention au manutentionnaire. »
Mais quelle ne fut pas leur surprise quelques heures après : « nous avons découvert dans un journal local qu’un accord aurait été signé, alors que nous n’avions pas encore étudié la proposition de protocole qui nous avait été remise ! Et que nous n’avons que 17% dans l’entreprise ! Nous avons été manipulés pour faire pression sur la SMART, ce qui est rapporté ne correspond pas du tout à notre échange », juge-t-il. Avec son staff, il donnait une conférence de presse ce jeudi matin à Longoni. La première où ils s’expliquent sur le fond.
Ils reviennent sur les investissements effectués par MCG qu’ils estiment illégaux. En choisissant de l’illustrer avec l’exemple de La Réunion, où ils exercent la manutention depuis plus de 20 ans : « là-bas, le délégataire facture à ses aconiers en leur fournissant chaque année des autorisations d’occupation temporaire. Puis, le délégataire, donc MCG ici à Mayotte, décide avec les 4 manutentionnaires des investissements à effectuer en fonction du trafic, mais en aucun cas comme ce fut fait ici, sans lui en parler, et sans appel d’offre pour les investissements de plus de 300.000 euros. »
Inflation d’investissement
Ils rappellent que MCG aurait du proposer dès sa DSP en poche en 2013, une AOT, une autorisation d’occuper temporairement le domaine public, à la SMART, et une grille tarifaire pour le matériel mis à sa disposition.
D’autre part, le volume ne justifierait pas de tels investissements : « à La Réunion, nous travaillons 400.000 Equivalents vingt-pieds (EVP, type de container, ndlr), contre 50.000 ici. Soit 10 fois plus. Et en utilisant une seule grue mobile alors qu’Ida Nel en a commandé 3. »
Une seule raison selon eux à cette inflation d’investissements, « elle avait déjà prévu de faire de la manutention ». Mais difficile de défiscaliser, « pas en utilisant son personnel sur les grues. Et le délégataire ne peut exercer de manutention, sous peine d’être en super monopole », explique la chargée de communication de la COR, Fabienne Maillot, « elle aurait du s’adresser à l’aconier (manutentionnaire), avant de demander un agrément de défiscalisation. »
« Nous ne nous laisserons pas faire »
Qu’adviendrait-il en cas d’expulsion programmée le 9 ou le 12 novembre de la SMART ? Avec l’éventualité de voir un concurrent s’installer : « MCG ne peut utiliser son outillage si elle veut défiscaliser, le but étant de créer des emplois. D’autre part, une jurisprudence indique que le délégataire ne peut être manutentionnaire sous peine d’avoir toutes les manettes en main. Si nous partons, sur le plan technique, le port de Longoni sera bloqué, car elle n’a pas de dockers formés. » Sans compter le chaos social en cas de licenciement du personnel, « nous ne nous laisserons pas faire », confirme un aconier autour de la table de la conférence de presse.
Difficile de comprendre dans ce cas pourquoi le tribunal administratif a tranché en faveur de l’expulsion avec un exposé de tant d’irrégularités : « on ne comprend pas comment un juge peut balayer d’un revers de main tous ces arguments. Je suis resté assis lors de l’énoncé du délibéré », ne peut que dire Gilles Langlois, co-gérant de la SMART.
Appliquer les articles de la DSP
Qui invite tous les acteurs à relire la DSP : « La SMART se fait expulser pour déficience d’AOT, mais l’article 35 prévoit que le délégataire devait en proposer un au conseil départemental. Je ne sais pas s’ils l’ont. » Et renchérit avec un autre article, « au 64, qui mentionne la composition d’un comité de pilotage de la DSP composé du président du conseil départemental, du délégataire, d’un représentant de l’Etat et des services concernés. Où est-il ? On en aurait besoin, là ! »
Les actionnaires majoritaires que sont les représentants de la famille Henry reprennent la critique qui leur est faite sur l’absence d’investissement au port : « comme la COR l’a mentionné, le manutentionnaire achète les stackers (engins de levage) et c’est au délégataire de garantir l’investissement public en grue et portique en fonction du trafic. Jusqu’à présent, c’était la Chambre de commerce et d’Industrie qui a été présidée un temps par Ida Nel elle-même ! ». Un investissement public, dans les mains d’une société privée, « qui dit qu’elle investit, mais avec des fonds nationaux, départementaux ou européens. Notre argent quoi ! », critique Gilles Langlois.
Quant à la proposition d’accord d’Ida Nel, le PDG de la COR ne voit pas comment elle peut s’appliquer : « en cours de déchargement d’un navire il faudrait s’arrêter parce qu’on a atteint notre quotta de containers à manipuler ?! De plus, le volume ne laisse pas de place pour deux manutentionnaires à Mayotte. »
Pour les actionnaires réunionnais, la seule solution serait de laisser la SMART exercer son métier de manutentionnaire, « et trouver un accord pour mettre en place une AOT et une grille tarifaire d’exploitation de nos engins. » Et, comme elle leur a proposé, ils comptent bien rendre une nouvelle visite à Ida Nel, ils sont même très déterminés…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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