La matinée de la 3e journée du procès de l’affaire Roukia a permis à certains enquêteurs d’expliquer les conditions dans lesquelles ils ont travaillé. Pressions, écoutes, sanctions… Une ambiance bien particulière.
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La défense avait souhaité que viennent témoigner Michel Alize, ancien patron de la section de recherche de Mayotte et premier directeur d’enquête de l’affaire Roukia mais aussi Patrick Duraveille, chargé alors de la police judiciaire. Après leur audition en visioconférence, on comprend cette volonté qui éclaire sur le contexte dans lequel ils ont tenté de mener à bien leur mission, en enquêtant sur des collègues.
Dès la découverte du corps de Roukia Soundi le 15 janvier 2011 sur une plage, Michel Alize prend la direction des investigations. Il raconte la trentaine de pistes qui se referment au fil du temps, les 500 procès-verbaux et finalement l’interpellation des deux individus qui ont vendu la drogue à Mathias Belmer. Alors que ces hommes déclarent spontanément qu’ils sont également informateurs du GIR, le groupe d’intervention régional, Gérard Gauthier leur «patron» appelle Michel Alize.
«Pourquoi tu touches à mes gars ?» lui aurait demandé Gauthier. Michel Alize explique qu’il travaille sur l’affaire Roukia: «Gauthier me relate le fait que le 2 décembre, ils ont bien reçu un produit qui est passé entre les mains de son personnel, que l’adjudant Ludovic Boulain a procédé à un test de cocaïne et que le produit c’était de la merde et que c’était pourri. Et que ce produit avait été remis en circulation».
Et de fait, la conviction de Michel Alize est que la drogue qui a transité par le GIR est celle qui a tué Roukia. «Pour moi, il n’y a pas de doute, c’est la continuité», réaffirme-t-il en visioconférence.
Ses collègues sur écoute
«Il m’a été demandé par le magistrat instructeur, la mise en place d’écoute de portables de personnels du GIR», indique-t-il. Ces écoutes seront menées dans les locaux de la section de recherche. Deux lignes seront dans un 1er temps «branchées». Couplé au travail sur les communications antérieures, l’objectif est de «faire un dessin explicatif des communications liées à l’entrée de ces sachets de poudre jusqu’à l’achat par Mathias Belmer», explique Michel Alize et donc de prouver, éventuellement l’implication d’hommes du GIR.
Michel Alize ne va pas rester longtemps à son poste. Le récit qu’il fait ensuite est accablant pour la hiérarchie de la gendarmerie. Après la mise en place des écoutes, «j’ai subi des pressions très très fortes de mon Comgend (commandant de gendarmerie) le Lieutenant-Colonel Bourgerie comme jamais je n’en ai eu dans ma carrière», affirme-t-il. Sa hiérarchie veut savoir qui a été mis sur écoute et pourquoi. Elle veut aussi le dossier de l’instruction. «A aucun moment je n’ai cédé». Mais sa droiture et son respect des procédures va lui coûter cher.
Le gendarme parti en vacances pour quelques semaines, son remplaçant ne résiste pas de la même façon. Selon Alize, le dossier placé dans le coffre-fort aurait alors été transmis à la hiérarchie, une violation manifeste du secret de l’instruction. Les conséquences pour Michel Alize sont immédiates. Dessaisi de l’enquête, il est «placé dans un bureau sans téléphone, sans informatique et on m’a demandé de ne rien faire. J’ai cessé mes activités, j’ai passé 9 mois dans ce bureau. Je ne souhaite à aucun de mes ennemis de vivre ça.»
Politique du chiffre
C’est Patrick Duraveille qui récupère la direction de la section de recherche mais il est tenu à l’écart, alors que Gauthier retrouve tous les matins le Comgend dans son bureau. Les deux hommes l’invitent pourtant un matin : ils lui expliquent que «le GIR a résolu l’affaire» et lui demande d’entendre la copine de la sœur de Roukia «parce qu’elle est au courant de violences commises par Mathias Belmer contre Roukia». On comprend à demi-mots qu’il s’agit de charger Belmer pour dédouaner le GIR. Duraveille, visiblement aussi droit que son prédécesseur, refuse.
Il évoque «la politique du chiffre du GIR», des résultats «splendides», «époustouflants», «toujours merveilleux»… «Moi, j’ai toujours eu des doutes, c’était trop facile», dit-il au tribunal. Ce sont les méthodes de Gérard Gauthier qu’il remet en question: «Moi, je ne l’admirais pas comme l’admiraient le Lieutenant-Colonel Bourgerie ou (d’autres) à Paris. Son éthique m’a toujours paru bizarre». Une phrase lourde de sens pour un homme qui n’a cessé de clamer son respect de la loi.
Quant à savoir si un responsable de la gendarmerie pouvait oublier une arrivée de cocaïne à Mayotte, les deux sont affirmatifs : «c’était impossible». C’est pourtant ce qu’a affirmé Gérard Gauthier la veille.
Le procès continue ce jeudi avec les plaidoiries de la partie civile (2 avocats), les réquisitions du procureur et peut-être le début des plaidoiries de la défense (5 avocats).
RR
Le Journal de Mayotte
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