Il ne serait pas exagéré de dire que l’amendement du député Ibrahim Aboubacar sur les finances des collectivités locales fait l’unanimité contre lui. Dans un contexte de difficultés budgétaires du département et des communes, où le département attend beaucoup des négociations avec le gouvernement.
Comme nous l’avions écrit lorsqu’il a été rendu public le 26 novembre, le texte proposé par Ibrahim Aboubacar n’habille réellement ni Pierre ni Paul, c’est à dire ni le conseil départemental, ni les communes. Bien qu’il veuille tendre vers le modèle de financement à la guyanaise et aider les communes. De quoi s’agit-il ?
L’ordonnance du 19 septembre 2013 réformait la répartition de la recette de la taxe d’Octroi de mer entre les communes et le conseil départemental de Mayotte, qui en était auparavant l’unique bénéficiaire. Dans les autres Départements d’Outre-mer, les communes perçoivent la totalité du produit de l’octroi de mer. Seule la Guyane connaît une situation comparable à Mayotte.
A La Réunion, 60% du budget du département vient de l’Etat
Afin de se rapprocher de la norme, et de permettre aux communes de bénéficier plus largement de l’octroi de mer, le député Ibrahim Aboubacar propose dans son amendement de plafonner la part de l’octroi de mer alloué au département à 24 millions d’euros, le niveau atteint lors de l’exercice 2014 : « De la sorte, la croissance du produit de l’octroi de mer sous l’effet de la progression de l’économie mahoraise profitera exclusivement aux Communes », explique le député lors de son intervention cette nuit à l’Assemblée Nationale, qui a adopté son amendement.
Une décision qui passe mal à Mayotte. Et pour cause, il coupe l’herbe sous les pieds des présidents de l’association des maires et du département, qui étaient tous les deux en pourparlers avec le ministère des Outre-mer et Bercy pour réviser un système hors la loi.
« Nous perpétuons une inégalité dont la Guyane est en train de sortir ! », s’exclame le président de l’Association des maires Saïd Omar Oili, hostile à l’amendement. Un montant de 24 millions d’euros qu’il estime devoir revenir dans son intégralité aux communes, alors que l’Etat devrait abonder le budget du département. A titre d’exemple à La Réunion, sur un budget de 1,5 million d’euros, 60% sont des dotations Etat. « Cet amendement fait faire des économies à l’Etat », critique-t-il, rejoignant notre analyse.
5 millions d’euros d’octroi de mer supplémentaires
Ibrahim Aboubacar a replacé cette nuit malgré tout le gouvernement devant ses responsabilités, rappelant qu’un bilan du nouveau dispositif fiscal devait être dressé en 2014, « il tarde à venir, (…) il est prévu pour le début de l’année 2016, notamment à la suite du prochain Rapport de la Cour des Comptes qui s’annonce sévère. »
Surtout que le montant supplémentaire de l’exercice 2015 est connu : l’octroi de mer va dégager 5 millions d’euros supplémentaires cette année, « mais partagé en 17 communes, c’est rien du tout ! », remarque Saïd Omar Oili.
Compliqué d’obtenir une réaction des élus du département qui ont l’air de découvrir l’amendement. Et pour cause, selon eux Ibrahim Aboubacar ne les a pas informés de sa proposition, et ils avaient découvert l’existence de l’amendement dans nos colonnes. « Nous prenons acte donc », s’explique le DGS Jean-Pierre Salinières qui apprend l’adoption de l’amendement par notre appel, et alors même qu’un travail est en cours sur le sujet, « nous comptions voter le 10 décembre un projet de répartition de l’octroi de mer à proposer à l’Etat. » Un schéma inspiré de la Guyane, mais sans plafonnement.
Soutien à l’Intersyndicale du social
Dans l’incapacité de recouvrir les taxes d’habitation et foncière à hauteur des sommes avancées par les services fiscaux, pour des problèmes d’adressage ou de cadastre, les communes, en difficulté financière, ont été obligées, pour certaines par le préfet, d’augmenter les taux, triplant parfois le montant d’une imposition devenue ingérable pour les ménages.
Deux d’entre elles, Sada et Dzaoudzi, ont déposé plainte au tribunal administratif : « L’égalité des citoyens devant l’impôt est un des fondements de la République. Or Mayotte se voit contrainte de payer une base locative fiscale de 2013 quand elle date de 1970 partout ailleurs. C’est une rupture d’égalité », déclare Saïd Omar Oili, qui a esté en justice pour sa commune Dzaoudzi, et non au titre de président de l’association des maires, « mes pairs n’ont pas voulu suivre. »
Un amendement qui pourrait bien couter cher : les présidents du conseil départemental et de l’Association des maires reçoivent la semaine prochaine l’Intersyndicale du social « pour la soutenir dans ses revendications légitimes », indique leur courrier. Des notables mahorais qui pourraient donc venir grossir dans la rue les rangs d’une population qui ne supporte plus les injustices et qui ressent un sentiment d’impuissance pour les faire remonter.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
Comments are closed.