Alors que la Cour des comptes a publié son rapport en forme de bilan des premières années de la départementalisation, l’action du département et de l’Etat sont pointés du doigt.
Avec son rapport, la Cour des comptes place aussi bien l’Etat que le département face à leurs responsabilités dans la situation dans laquelle se trouve Mayotte. Chacun en prend pour son grade mais ne réagit pas de la même façon. Alors que le ministère des Outre-mer a rédigé une réponse de 4 pages à la Cour puis une note aux rédactions pour défendre vigoureusement l’action de l’Etat, le Département, lui, s’est contenté de 2 lignes : «À la lecture du rapport transmis, le conseil départemental n’a pas de réponse particulière à apporter, partageant l’essentiel des analyses qui y figurent.» Dans l’univers feutré de la Cour des comptes, un tel message pourrait s’apparenter à un bras d’honneur.
Et pourtant, ce travail de la Cour est instructif a bien des égards. Du côté du département, le rapport souligne de nombreux problèmes et en premier lieu une administration «insuffisamment adaptée» alors qu’elle exerce désormais l’ensemble des compétences d’un département et d’une région d’outre-mer, «avec quelques exceptions significatives telles que la construction et l’entretien des collèges, des lycées ou des routes nationales».
Effectifs trop nombreux et mal positionnés
Le rapport pointe «des effectifs pléthoriques affectés aux missions de soutien, au détriment des missions d’intervention et des domaines stratégiques». Ce sont 2.762 agents qui sont répartis dans pas moins d’une «trentaine de directions regroupées en cinq pôles opérationnels correspondant aux grandes missions de la collectivité (action sociale ; économie et développement durable ; aménagement du territoire ; services à la population ; formation-enseignement et recherche) et deux pôles de soutien (ressources-moyens généraux ; finances).
Avec 659 agents à eux deux, les pôles ressources-moyens généraux et finances concentrent 23,9 % des agents du Département, alors qu’habituellement ce ne sont que 10 à 15 % des effectifs. La direction logistique et moyens, «notoirement en sureffectif», compte à elle seule 424 agents. «Cette situation n’empêche pas certains pôles de disposer d’agents affectés aux mêmes tâches», relève la Cour.
Six agents pour les affaires européennes
En revanche, avec 663 agents, le pôle action sociale ne représente à l’inverse que 24 % des effectifs, bien qu’il porte l’une des principales compétences du Département. Ils représentent généralement un tiers du personnel dans un département. Et on ne trouve que 6 agents à la direction des affaires européennes alors qu’elle «a vocation à servir de courroie de transmission entre la collectivité et l’Europe».
«Compte tenu des enjeux stratégiques que représentent l’éligibilité aux fonds européens et le CPER pour le territoire, le Département devrait être doté de services mieux positionnés et d’effectifs renforcés pour assurer le suivi effectif des dossiers relevant de ces domaines.»
Actuellement, seules 49% des dépenses du département sont consacrées aux politiques publiques et ce sont les dépenses d’équipement qui servent de «variable d’ajustement». Le rapport note qu’à «défaut de contenir les dépenses de personnel», entre 2010 et 2012, «les dépenses annuelles d’équipement ont été divisées par deux et ramenées à 16 M€, les subventions d’équipement divisées par trois et limitées à 3,5 M€».
Mayotte bien moins dotée que les autres DOM
Lorsque la Cour regarde du côté de l’Etat, les critiques aussi sont nombreuses. Certes, la Cour note que l’Etat est engagé dans un effort de rattrapage pour Mayotte, mais il est loin d’être réalisé. L’«effort budgétaire de l’État» par habitant dans les DOM est de 6.420 euros en Guyane, 5.331 euros à La Réunion mais de seulement 3.964 euros à Mayotte.
«Un alignement du niveau de dépenses par habitant par exemple sur celui de La Réunion nécessiterait un effort budgétaire supplémentaire de 307 M€ par an, en retenant la population de l’année 2014, soit une nouvelle augmentation de 34 %».
La Cour met tout de même en garde l’Etat sur «un risque majeur de dérapage» financier lié, en partie, à la montée en puissance des compétences du département et des divers dispositifs déjà transférés, comme par exemple le RSA. Pourtant, la dotation globale de fonctionnement (DGF) dont bénéficie Mayotte reste très éloignée du niveau des autres DOM. Elle est de 473 euros par habitant à La Réunion par exemple contre 130 euros par habitant à Mayotte.
Actions «colossales»
Le gouvernement, par la voix de George Pau-Langevin souligne tout de même les actions «colossales» entreprises «pour remédier aux inégalités les plus criantes auxquelles fait face ce territoire si particulier», rappelant les investissement dans le domaine de l’éducation ou encore les 200 millions d’euros d’investissements d’ici à 2020 «dans les domaines de l’eau, de l’assainissement, des déchets, du logement et la santé.»
«La départementalisation n’est pas l’affaire d’un quinquennat. Il appartient aux services de l’Etat de définir une trajectoire pour Mayotte et c’est la feuille de route signée par le Premier ministre le 13 juin 2015, Mayotte 2025», indique la ministre des Outre-mer.
Quant au département, il aura l’occasion de sortir de son mutisme aujourd’hui. Alors que le président Ibrahim Ramadani présente ses vœux ce jeudi, il apportera probablement la première réaction officielle de la collectivité.
Au final, la Cour des comptes fait donc 14 recommandations, adressées au département, à l’Etat mais aussi aux communes. Les voici :
1. au Département : suivre avec attention la délégation de service public du port de Longoni, afin de mesurer et d’accompagner les retombées économiques pour Mayotte, de maintenir une vigilance
constante sur les risques et d’être en mesure de reprendre les actifs du port au bout de 15 ans dans les conditions prévues par la délégation.
2. à l’État : à l’occasion de la mise en œuvre du plan « Mayotte 2025 », définir un pilotage approprié de la départementalisation, dans toutes ses dimensions (notamment juridiques et financières), tant au niveau central que local, afin de mettre en œuvre de façon séquencée les priorités définies ;
3. à l’État et au Département : régler, à la faveur de la mise en place d’un établissement public foncier, les problèmes fonciers posés par la départementalisation, notamment la question de la partition des domaines entre l’État et le Département ;
4. à l’État : consolider les bases de la fiscalité directe locale, en sollicitant le concours des communes afin de définir une dénomination systématique des voies et un numérotage des habitations qu’elles desservent.
5. à l’État : assurer une programmation pluriannuelle de l’effort budgétaire et financier de l’État en faveur de Mayotte, associée à des objectifs concrets et mesurables ;
6. à l’État : définir un cadre de financement pérenne des collectivités mahoraises, en réglant notamment la question de la répartition de l’octroi de mer, cadre qui sera ajusté à chaque transfert réel de compétences ;
7. au Département : réorganiser son administration départementale afin d’améliorer le système actuel de chaîne de contrôle des dépenses autour d’une fonction support unifiée, d’une part, et, d’autre part, articuler les services autour d’équipes aux missions opérationnelles bien identifiées ;
8. au Département : fixer un objectif de réduction de la part des dépenses de personnel en pourcentage des charges de fonctionnement et, au sein de celles-ci, des personnels de soutien, et s’y tenir ;
9. au Département : dégager, d’une part, des moyens suffisants pour les interventions dans le domaine de ses compétences obligatoires et, d’autre part, une capacité d’autofinancement suffisante pour conduire les programmes d’investissement utiles, notamment en cofinancement ;
10. au Département : définir et mettre en œuvre un programme pluriannuel d’investissement ;
11. aux communes : redresser leur situation financière, en fixant un objectif de réduction de la part des dépenses de personnel en pourcentage des charges de fonctionnement, et développer l’intercommunalité afin de mutualiser les compétences et les services de soutien, sans que cela ne se traduise par des recrutements supplémentaires.
12. à l’État, au Département et aux communes : définir et mettre en œuvre des actions prioritaires en matière d’équipements de base (eau, assainissement, résorption de l’habitat insalubre), dans le cadre du plan « Mayotte 2025 », selon un calendrier réaliste et suivi et en saisissant les opportunités ouvertes par l’accès aux fonds européens structurels et d’investissement ;
13. à l’État et aux communes : accompagner la mission des communes de constructions scolaires du premier degré en confiant à l’État, à travers la mise en place d’une agence technique, la maîtrise d’ouvrage déléguée ;
14. au Département : exercer pleinement sa compétence obligatoire en matière d’ASE
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