Les TAAF (Terres australes et antarctiques françaises) organisent une exposition* consacrée à Tromelin en puisant dans les travaux de recherches menés depuis 2006. Une façon de faire revivre l’histoire maritime et sociale de notre région.
C’est une tragédie que les historiens et les archéologues ne voulaient pas voir emportée par le vent de l’océan. La tragédie des esclaves oubliés de Tromelin est désormais racontée par une exposition installée pour huit mois à La Réunion. On peut y suivre le périple de «l’Utile», navire de la Compagnie française des Indes orientales, parti de Bayonne le 17 novembre 1760. Huit mois plus tard, arrivé dans l’océan Indien, il s’échoue sur l’Île de sable, le petit îlot de 1km² qui prendra le nom de Tromelin.
Le 31 juillet 1761, des dizaines de survivants du naufrage posent le pied sur ce petit bout du royaume, perdu à l’est de Madagascar et au nord des Mascareignes. Parmi eux, 80 esclaves achetés en fraude sont destinés à être vendus sur l’Île de France (l’Île Maurice).
L’équipage regagne Madagascar sur une embarcation de fortune, laissant les esclaves sur l’île, avec la promesse de venir bientôt les rechercher. Ce n’est que quinze ans plus tard, le 29 novembre 1776, que «la Dauphine», placée sous le commandement de Tromelin approche l’île. Les esclaves survivants sont sauvés mais ils ne sont plus que sept femmes et un enfant de huit mois.
Parler de la traite des esclaves
Cette exposition aborde donc avec ce naufrage et la survie des rescapés de l’Utile, un pan de l’histoire maritime et la question de la traite et de l’esclavage dans l’océan Indien. Elle présente les résultats des travaux conjoints, terrestres et sous-marins, du Groupe de recherche en archéologie navale (Gran) et de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) menés sur Tromelin. Ces chercheurs ont tenté d’élucider les circonstances du drame et de documenter au mieux les conditions de vie des survivants.
Car les archives regorgeaient de documents sur le contexte historique, l’armement, le voyage et les circonstances du naufrage de l’Utile. Mais les informations recueillies concernant les années passées sur l’île par les Malgaches rescapés se réduisaient à peu de chose.
Un quotidien à survivre
Quatre missions archéologiques ont donc été menées entre 2006 et 2013. La première a mis au jour une partie de l’habitat des esclaves et des objets de la vie courante, fournissant les premiers éléments de réflexion sur les conditions de survie. Trois bâtiments ont été découverts lors de la mission de 2008. Ils mettent en évidence une zone de vie avec de nombreux ustensiles et des restes de faune consommée (essentiellement des sternes et des tortues). Les missions de 2010 et 2013 ont confirmé la présence d’une sorte de hameau comprenant une douzaine de bâtiments, groupés autour d’une cour centrale.
On sait aussi qu’avec du bois flotté, les esclaves survivants ont alimenté un feu et construit par deux fois des radeaux pour tenter de fuir l’îlot. «Au-delà, Tromelin forme un champ d’étude remarquable. Il s’agissait d’analyser les vestiges du séjour d’un nombre déterminé d’individus pendant une durée connue, sur un espace restreint et parfaitement délimité. L’étude des productions d’objets et de déchets, et de l’impact sur l’environnement du séjour des naufragés, aura constitué un laboratoire archéologique unique», relèvent les chercheurs.
Pour sortir du 18e siècle, l’exposition se termine sur une présentation d’images contemporaines de l’île de Tromelin, devenue un bout de sable hôte d’une station de Météo France et un point de repère dans les routes empruntées par les cyclones.
«Tromelin, l’île des esclaves oubliés» est une triple exposition. Deux versions très proches vont circuler en métropole et dans l’océan Indien. Une 3e version plus légère est prévue pour les Antilles. A l’heure actuelle, l’exposition «Tromelin, l’île des esclaves oubliés» se tient du 28 janvier au 30 septembre 2016 au musée Matutina de Saint-Leu, à La Réunion.
RR
www.jdm2021.alter6.com
Pour aller plus loin :
«Tromelin. Mémoire d’une île», de Max Guérout (CNRS Éditions, Collection Alpha)
Dans cet essai abondamment documenté et illustré, Max Guérout reconstitue l’histoire de ce grain de sable depuis le début du 18e siècle jusqu’à nos jours. Il en reconstruit la mémoire éclatée, marquée par les escales fugaces de quelques navigateurs, hydrographes ou militaires curieux. Il s’attache en particulier à reconstituer l’histoire des équipes de la station météorologique française installée sur l’île en 1954. Tirant chacun des fils laissés par ces résidents de passage, Max Guérout nous livre ici le fruit d’un long et patient travail.
«Les esclaves oubliés de Tromelin», de Sylvain Savoia (Aire Libre, Dupuis).
Le dessinateur Sylvain Savoia a rejoint une expédition sur l’île Tromelin. De là est né ce livre : une bande dessinée qui redonne la parole aux esclaves, mêlée au journal de bord d’une mission archéologique.
«Tromelin. L’île aux esclaves oubliés», de Max Guérout et Thomas Romon (CNRS éditions, coédition avec l’Inrap).
Cette nouvelle édition, revue et augmentée, co-éditée avec l’Inrap, intègre les résultats de quatre campagnes de fouilles réalisées sur l’île entre 2006 et 2013. Des extraits du journal des archéologues ajoutent une dimension sensible au récit de leur démarche animée par l’exigence scientifique autant que par le devoir de mémoire.
*Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication/Direction générale des patrimoines/Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’état. L’ensemble du projet Tromelin est soutenu depuis l’origine par son administration déconcentrée, la Direction des affaires culturelles – océan Indien.
Cette exposition est une co-production entre les Terres australes et antarctiques françaises et l’Inrap, issue d’une co-production entre le château des ducs de Bretagne – musée d’histoire de Nantes et l’Inrap. Elle bénéficie du soutien exceptionnel du Ministère des Outre-Mer (MOM).
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