Le constat d’échec est terrible: la taxe d’habitation qui ne rapporte que 1,5 million d’euros sur les 11,6 millions d’euros qu’elle devait générer, les règles de répartition d’octroi de mer modifiées de fond en comble à deux reprises en à peine 16 mois, un territoire jugé par la Cour des Comptes comme sous doté par l’Etat, une population sous-estimée… «Il faut appuyer sur pause!» réclamait la conseillère départementale de Koungou. Au regard des enjeux, on peut regretter l’absence de nombreux élus, maires et parlementaires.
Le rapport de la Cour des comptes, qui a ébranlé Paris, est formel: «Cette insécurité juridique ne permet pas aux collectivités mahoraises de disposer de prévisions stables de leurs ressources.» Et comme le rappelait Saïd Omar Oili, président de l’association des maires, 13 sont en redressement budgétaire.
En conséquence, face aux tiraillements provoqués par le partage de l’octroi de mer, face aux difficultés à recouvrer l’impôt foncier sans assassiner les ménages, face à un adressage défectueux qui pénalise un petit groupe de contribuables, et face aux nombreux problèmes qui se posent aux territoires en matière fiscale, Manuel Valls, interpellé mi-décembre par les élus de Mayotte, a annoncé qu’il fallait « refonder les ressources financières de Mayotte sur des bases saines et pérennes ». En précisant que le résultat de ces travaux figurera dans le projet de loi de finances pour 2017.
85% des Mahorais non imposables
Ce qui veut dire qu’une synthèse des propositions des élus doit être remise pour être examinée fin juin par le gouvernement. Un délai très court. Le conseil départemental s’est mis au travail pour proposer un axe de travail, la préfecture et les mairies ont fait de même. Il faut donc rendre compatible leurs objectifs : « Nous ne devons pas monter en ordre dispersé à Paris », intime le président du département Soibahadine Ibrahim Ramadani, assis entre le député Ibrahim Aboubacar et Saïd Omar Oili.
Il fallait donc tout d’abord lister les problèmes. Facile : la valeur locative des habitations 3 à 4 fois plus élevées qu’en métropole, les défaillances cadastrales, d’adressage, le comptage à 212.000 habitants contesté par la Cour des comptes, impactant les ressources fiscales et les dotations publiques compensatrices (absence de prise en charge par l’Etat des compensations pour les 85% de Mahorais non imposables), des habitations à 33% en tôle non imposées, une dotation globale de fonctionnement insuffisante, etc.
« Prenons nos responsabilités ! », réclame le député
Et proposer des solutions. Si elles existaient à l’état naturel, on peut penser qu’elles seraient appliquées. Il va donc falloir cogiter. Soibahadine Ibrahim propose trois groupes de travail : sur les impôts directs locaux, sur l’habitat et le recensement général de la population et sur le droit de mutation avec l’évaluation des prix du foncier.
Les maires lancent quatre propositions : l’adoption de mesures de rattrapage, la remise à plat de la fiscalité locale, les mesures d’accompagnement de l’Etat sur les politiques publiques et l’ajustement des recettes de l’octroi de mer, « 75% des investissements d’un territoire viennent des communes », avançait Saïd Omar Oili.
Un habitant de Dembéni proposait d’adopter une TVA à 4%, « tout le monde paierait ainsi l’impôt. » Le conseiller Chihaboudine Ben Youssouf a lancé une pétition pour « une fiscalité dérogatoire pendant une période dérogatoire de 30 ans. »
Le député PS Ibrahim Aboubacar, invitait à balayer devant sa porte : « Une grande partie du patrimoine de l’île appartient au département. Nous avons lancé la régularisation foncière sans établir d’actes administratifs derrière. La titrisation, c’est nous, prenons nos responsabilités ! »
Dossier remis au gouvernement fin avril
Ibrahim Aboubacar revenait cependant sur le problème posé par la Zone des Pas géométrique, sur laquelle les indigènes habitaient depuis longtemps et à qui on demande de racheter leur propre terrain, « C’est un dialogue de sourds, l’Etat doit nous donner ces terrains. » Il mettait en évidence le décalage entre patrimoine détenu et revenus perçus, « qui n’ont aucun rapport à Mayotte. » Ce qui ailleurs, aurait incité à revendre les terrains pour s’en sortir, mais qui peut être réparé selon le député « avec un rattrapage de la dotation Etat au niveau de droit commun. »
Une fois que les élus et le représentant de l’Etat se seront mis d’accord sur le document de travail, la copie sera remise au gouvernement fin avril 2016, indique Soibahadine Ramadani.
A côté des Etats généraux ou de Mayotte 2025, c’est la première fois que les élus de Mayotte proposent un cadre de travail sur le long terme. La synthèse du Séminaire sur la fiscalité demande encore à être structurée, mais elle va sans doute permettre de s’approprier les résultats, et de défendre en bon avocat de sa propre cause, sa position à Paris.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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