Il faut définitivement cocher toutes les matinées des derniers samedis du mois sur son agenda, et les réserver au MUMA (Musée de Mayotte) en Petite Terre. Si le programme n’est pas encore finalisé, il est prétexte à écouter des conférenciers fundis (spécialistes) dans leur domaine.
Zoom était fait ce samedi 27 février sur « la mosquée de Tsingoni, témoin de l’histoire de Mayotte », avec l’intervention d’Ambass Ridjali, attaché territorial à la mairie de Tsingoni, et Marion Lalanne, historienne du patrimoine au bureau de recherche Galia Patrimoine.
Evoquer cette vieille dame qu’est la mosquée de Tsingoni n’est que lui rendre justice puisqu’il s’agit de la plus ancienne mosquée en activité de France. Elle est à ce titre classée au titre de monument historique.
Motifs cachés
Il est pourtant difficile de la dater. Si l’année 1538 est retenue comme étant celle de la réalisation de son magnifique mihrab*, l’édifice premier pourrait être plus ancien. Ex capitale du sultanat de Mayotte du 16ème au 18ème siècle, Tsingoni pourrait abriter dans sa mosquée la sépulture du sultan Issa et celles de sa femme et de sa fille. C’est en tout cas lui qui en a initié la construction comme l’indique les inscriptions relevées sur le mihrab, « et qui l’élève au rang de mosquée royale », indique Marion Lalanne.
Le mihrab à la maçonnerie à base de corail, a été recouvert de couche de polychromie à chaque fête, « il existe donc des motifs cachés, encore à découvrir », mais on sait qu’il a été bâti par des voyageurs, « il a plusieurs cousins dans l’océan Indien. »
Les deux mausolées sont l’autre intérêt de l’édifice. « Situés à l’extérieur, ils sont décorés de bols d’importation, et leur position face à la qibla** indique qu’il abrite les sépultures de personnages importants ». Aucune identification n’a été menée. Contrairement à ce qu’on affirmait, « on ne sait pas trop si ce sont des tombes shiraziennes, des édifices comparables ayant été vus au sultanat d’Oman », explique Ambass Ridjali. Il est possible de pénétrer dans chaque mausolée par une petite porte.
Des sœurs tanzaniennes
Mais Tsingoni souffre de son succès, « pendant longtemps seule mosquée du vendredi de Mayotte, on venait même des îles voisines pour y prier », il faut donc l’agrandir. Un aménagement au jour le jour, « sans réel projet à long terme », constate l’attaché territorial, une nouvelle mosquée est accolée à l’ancienne. Une salle de prière est rajoutée à l’étage, au dessus du patio construit dans les années 80.
Mosquée typiquement swahili, ses épaisseurs de maçonnerie en corail et son mihrab débordant sont retrouvées sur des villes de la côtes est africaine, en Tanzanie. D’ailleurs la revue Taãrifa des Archives départementales présente un article et un plan de la mosquée de Songo Mnara, au sud du pays. « A Tsingoni, un espace avait vraisemblablement été réservé aux femmes. » Même motif de cordes et de frises à Domoni (Anjouan).
Mosquée swahilie sans minaret
Et comme toutes les mosquées swahilis, elle ne possédait pas de minaret, « seul un petit minaret escalier ». Récemment, « dans les années 80 », le maire et un architecte décident de marquer leur empreinte et font construire le minaret actuel. « Nous avons retiré la lune et l’étoile, dont les 40 kilos pèsent trop lourdement. »
Toujours très fréquentée de nos jours, la mosquée fait l’objet d’un projet de réhabilitation à moyen terme, financée par la direction des affaires culturelles des préfectures de Mayotte et La Réunion, et lancé par Frédéric Mitterrand lors de sa visite à Mayotte.
Quant au mimbar (estrade d’où parle l’orateur) en bois, il n’a pas été retrouvé. Ce qui le fait tomber dans la légende, « il aurait été emporté à Domoni à la suite de pillages des sultans batailleurs », mais aucune preuve scientifique ne l’atteste.
La mosquée de Tsingoni se visite sans problème, en dehors des heures de prière bien sûr.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
*Niche creusée dans le mur indiquant la direction de La Mecque, vers laquelle on se tourne pour prier.
** Direction de La Mecque
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