Et quand on lit dans l’avant-propos qu’il voulait intituler l’ouvrage « La Conjuration des préfets », en dressant un parallèle avec « La Conjuration des Imbéciles » de John Kennedy Toole, même les non avertis ont le ton des chapitres à venir. Ils sont 12 au total, 12 à retracer l’histoire de son combat. Qui est loin d’être clos.
L’aventure SIM commence en 2005 alors qu’il vit au cœur de Londres et travaille en tant que Professional Risk Manager sur un projet d’entreprise de consultance en banque et finance. Il regarde toujours les news mahoraises le soir et apprend les difficultés de la société. Après plusieurs contacts, il lâche Londres et ses amis «d’au moins une trentaine de nationalités différentes », pour venir à Mayotte comme directeur général de la SIM en août 2005.
Ses amis mahorais sont méfiants, ils y voient un piège tendu par l’Etat, dans une société aux cadres wazungus (métropolitains), « la SIM va être liquidée parce que l’Etat souhaite sa disparition », lui disent-ils. Quand on connaît Mahamoud Azihary, rien de tel pour susciter une vocation de défendre veuf et orphelin mahorais contre la toute puissance parisienne et le colonialisme.
L’« Entre soi » Degos et Robin
Il s’en défend : « Je ne suis pas un opposant systématique de l’Etat. Ce sont les préfets qui sont entrés en conflit avec moi », insiste-t-il à plusieurs reprises lors de l’interview. Il avance d’ailleurs son entente cordiale avec le préfet Vincent Bouvier en 2007, « qui est venu aux funérailles de mon oncle », et sans heurts avec l’un de ses successeurs, Hubert Derache.
Avec Denis Robin par contre, ça dérape, « en 2008, il essaie de m’évincer de la SIM », combat que reprendra Thomas Degos à l’entendre, « mais l’AFD et la Caisse des dépôts me soutiennent. J’avais même une proposition de poste à la CDC qui m’aurait permis d’être détaché à Mayotte et protégé, mais je ne voulais pas lâcher mon indépendance. »
Selon lui, tout bascule entre lui et Thomas Degos lorsqu’il passe pour l’éminence grise des émeutes de 2011, que le jeune préfet subira de plein fouet : « Je ne faisais que décortiquer les rapports des experts », assure-t-il. Il aura probablement fait plus, dans l’esprit de « casser le triangle ‘Etat-grands groupes financiers aux profits qui s’apparentent à l’époque féodale- Elus dociles’ », qu’il appelle aussi « le cercle de l’Entre-soi ».
Un monument historiquement classé
Il l’illustre par la succession des préfets issus de Mayotte à l’Outre-mer, « où sera nommé Thomas Degos, ce qui me vaudra d’être évincé de la SIM. » Une société où il n’a pas laissé que des bons souvenirs d’ailleurs, certains de ses collaborateurs dénonçant ses méthodes de gestion musclées.
Après « l’affaire Azihary », et une publicité fâcheuse sur sa vie privée, « une affaire personnelle qui n’aurait pas du sortir de cette sphère », en arrive une autre, avec “l’affaire des monuments historiques”. Une sorte de retour de bâton, où il s’attaque à l’Etat à travers un de ses anciens cadres honni, dont il menace de détruire la maison dans le cadre de la naissance d’un nouveau lotissement.
Provoquant une réaction immédiate de l’Etat qui demandait dans la nuit le classement de la case de la rue Saharangué en monument historique, « sans même que la ministre Pellerin soit informée de l’accord. Je voulais montrer aux mahorais jusqu’où pouvait aller l’Etat ». Ils ont vu.
Même Yves Jégo…
Aucune voie pacifique selon lui à attendre des rapports qu’entretient l’Etat et « ses colonies » lorsqu’il défend ses intérêts : « Même Yves Jégo, alors secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer s’y est brûlé les plumes lorsqu’il a critiqué le comportement du patronat antillais. Il a été évincé du gouvernement dans la foulée. »
Et dresse un parallèle avec Mayotte où les gros du bâtiment auraient profité des coûts de construction du SMIAM*, « trois fois plus chers que la SIM. Un combat contre eux qui m’aura valu de passer au TGI de La Réunion contre Colas, procès que j’ai gagné. » Et continue à dénoncer des marges jusqu’à 3 fois plus élevées ici qu’ailleurs. Sans que l’Etat fasse plus qu’un bouclier qualité-prix, sur un territoire où les trois-quarts de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, serait-on tenté de rajouter.
Le tribunal, il connaît aussi pour être assigné actuellement par la SIM sur le litige de ses indemnités de départ qui se montent à prés de 500.000 euros, « je suis tranquille. Je n’allais pas partir sans cet argent qui m’est dû. »
L’Etat occupe le vide
S’il a écrit ce livre, c’est pour analyser son parcours et témoigner à sa façon, musclée, « pour que des petits jeunes capables qui ont de l’ambition ne soient pas broyés par ce système. Je ne voudrais pas non plus que la SIM, dont l’Etat va revendre ses actions à une filiale de la CDC, et de nouveau en difficulté, chute totalement. Ceux qui siègent au conseil d’administration se soumettent pour ne pas avoir d’ennuis avec le système. C’est ce que je combats. »
Et il n’a pas fini si on se met à dresser la liste des irrégularités et ententes perpétrées sur le territoire dans l’esprit de « l’Entre soi ». Il dit craindre pour l’avenir de Mayotte, « si on continue sur cette voie, on va sombrer et finir par tous se détester. » Pour être monté à Paris de nombreuses fois, il sait combien ce confetti est éloigné des préoccupations quotidiennes, « on représente une perte de temps dans les cabinets ministériels, les administrations centrales, ça les énerve. »
Le rapport de force qu’il décrit serait malgré tout plus équilibré, voire absent, si les élus locaux prenaient la place occupée par l’Etat à Mayotte par leur compétence et leur volonté de délaisser leur intérêt personnel au profit de l’avenir du territoire. Une vraie bataille à gagner là aussi.
Regrette-t-il d’avoir quitté le fog londonien pour un autre brouillard mahorais ? Pas vraiment tant il a fait de ces dernières années un des combats de sa vie.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
*Aux éditions L’Harmattan
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