Parce qu’elle a pris en charge la scolarisation de plus d’une centaine d’enfants l’année dernière, l’association Village d’EVA (pour Echelle Visuelle Analogique, une évaluation de la douleur), proposait une discussion sur « Quelles alternatives à la scolarisation à Mayotte ? »
Pour en débattre et surtout tenter de répondre à cette interrogation, le docteur Aurélie Arribat sa présidente a fait venir à Mayotte le docteur Najat Maalla M’Jid, qui fut rapporteur spéciale de l’ONU sur la vente des enfants, leur prostitution et la pornographie les impliquant jusqu’en 2015, et est membre de la commission des Droits de l’Homme. « Mon but est de réfléchir à la manière de casser le cercle vicieux de l’exclusion des enfants du système scolaire ici à Mayotte », explique-t-elle au JDM.
Les droits de l’enfant, « j’y suis tombée dedans étant petite », explique-t-elle faisant référence à son militantisme dès 16 ans à la fac de médecine, qui l’a amené ensuite en tant que pédiatre à gérer une clinique mère-enfant au Maroc, à fonder l’ONG Marocaine Bayti, de prise en charge et de réinsertion des enfants des rues. Elle enseigne à Sciences Po Paris, Ottawa et Nottingham dans le domaine des Droits de l’enfant. Elle a reçu de nombreux prix et distinctions pour ses activités.
L’éducation, la meilleure des armes
Aurélie Aurribat dressait un constat peu élogieux pour Mayotte de plus de 5.000 enfants non scolarisés dans un pays, la France, où la scolarité est obligatoire de 6 à 16 ans depuis 134 ans. « Ils sont 124 millions dans le monde, et certains pays ont adopté des stratégies pour s’en sortir », notait-elle. C’est le Cambodge, avec la fondation Thales et l’association Pour un sourire d’enfants, « et un rattrapage accéléré de la scolarisation pour réinsérer le cursus normal », c’est encore l’Amérique du Sud, « avec une école mobile ».
Village d’Eva a adopté pour Mayotte un schéma propre : « Nous avons des jeunes à partir de 6 ans, qui suivent l’Ecole de la rue, assis dehors, et maintenant dans un banga. Nous avons récemment signé un partenariat avec l’Education nationale pour bénéficier des locaux du collège K1. » Ça a marché puisque l’année dernière, la présidente explique que sur 108, ils sont 100 enfants à avoir réintégrés l’école de la République. Et pour un moindre coût : “l’école de la rue coute 177 euros par élève, quand il est de 5.000 euros par élève dans le primaire et de 11.000 euros en lycée!”
Un jeune volontaire de service civique qui les suit a compilé leur témoignage dans un « Livre blanc de notre avenir » : « on voit que leurs qualités ne sont habituellement pas mises en avant. L’un d’entre eux cite Mandela ‘la meilleure arme pour changer le monde, c’est l’éducation’. »
Manque de volonté politique
L’ancien conseiller départemental en charge de l’Action sociale, Jacques-Martial Henry, revient sur les raisons d’une telle situation qui n’a pas permis de dégager d’élite mahoraise : « Jusque dans les années 50, il n’y avait pas d’école à Mayotte, bien que nous ayons été français avant Nice ! » L’enseignement était dispensé dans des écoles Jésuites ou de la Mission catholique, « le premier collège-lycée date de 1981, alors qu’on avait déjà inauguré un lycée à Anjouan en 1972. » Un manque de volonté politique qui perdure jusqu’à maintenant.
Pourtant, comme le souligne Aurélie Arribat, l’Etat a fait beaucoup, « avec 89.500 enfants à scolariser, un chiffre multiplié par 6 en 30 ans. Il ne pourra pas tenir à ce rythmes avec des collèges qui coutent jusqu’à 34 millions d’euros comme à Majicavo. » Mais comme le faisait remarquer Najat M’Jid : « L’immigration en provenance des Comores est connue, pourquoi n’anticipe-t-on pas ?! »
L’avocate Fatima Ousseni rappelait la kyrielle de textes qui place la situation mahoraise hors la loi : « La déclaration des droits de l’homme et du citoyens pour commencer, qui indique que tout homme a droit à l’éducation, et les conventions d’élimination des discriminations et pour finir, la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France. »
Créer une structure passerelle vers l’école
Elle pointait du doigt trois structures, la commune de Mamoudzou, celle de Koungou et le vice-rectorat, « qui demandent des justificatifs administratifs pour pouvoir inscrire les enfants dans leurs écoles. » Une accusation relayée par Christelle Touron, directrice de l’Aide sociale à l’enfance du département : « Nos travailleurs sociaux n’arrivent pas à scolariser les enfants placés en familles d’accueil. »
Najat m’Jid dressait un parallèle avec les soins : « on ne demande pas les papiers quand il y a urgence ! »
Néanmoins, les débatteurs reconnaissaient que rien n’était facile à Mayotte : « J’ai passé ma permanence chez le juge des mineurs pour des violences commises entre eux, parce que de villages différents. Ils vivent une situation difficile déjà à l’extérieur de l’école », témoigne Fatima Ousseni.
Quant à savoir si une école alternative est possible sur le territoire, l’élu Jacques-Martial Henry faisait une réponse de Normand : « Les élus mahorais s’inscrivent dans le droit commun, ce serait une entorse. Mais vu la situation, une action parallèle se justifie. » Il soulignait cependant l’absence de prise de conscience collective, la plaie de Mayotte.
C’est justement la condition indispensable à la réussite, que soulignait Najat Maalla M’jid, « la solution ne marchera que si elle vient des acteurs locaux », et expliquait qu’il ne fallait pas un modèle alternatif : « Il faut rattraper et non se substituer. Nous devons mettre en place une passerelle pour un rattrapage, mais avec une éducation de qualité, c’est essentiel. »
Des enfants qu’elle a rencontré en matinée, elle retient « les yeux qui pétillent quand on parle d’école. A l’heure où beaucoup trainent des pieds pour s’y rendre, c’est une chance, il faut la saisir. »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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