La première est adressée à François Hollande, et a été hébergée sur le site de Médiapart. Elle ne porte pas directement sur le mouvement social, mais sur les oppositions croissantes de communautés. Rédigée par quatre écrivains, Soidiki Assibatu, enseignant et doctorant en Lettres, Nassuf Djailani, journaliste et écrivain, Mlaïli Condro, enseignant et chercheur et Houssami Saïd-Attoumani, enseignant, elle s’intitule « Des soucis au souci de la République à Mayotte ».
« Une partie de la population tente de se faire justice sans réaction des services de l’Etat, ni des forces de l’ordre », y critiquent les auteurs. Leur point de vue est inattaquable, puisque celui du respect des lois républicaines.
Ils rappellent le contexte : un « vivre-ensemble » propre à Mayotte, et peu commun en France, « menacé par la violence, la délinquance, l’insécurité, liées certainement à la population qui ne cesse de s’accroitre (…) une population qui pose la question de l’accès aux ressources disponibles, de l’occupation de l’espace habitable, de l’accès à l’éducation et à la santé. » Un accès qui n’est plus garanti par l’Etat, qui ne peut faire face à la croissance de la population.
La population se sentant abandonnée, a tôt fait de désigner un coupable, « l’étranger, l’Anjouanais, qui est devenu le terme englobant. »
Que la population assume !
Si les Mahorais en sont arrivés à cette extrémité, aux chasses à l’étranger comme à Sada, Mzouazia, Bandraboua, Mtzamboro, Tsimkoura et Poroani, donc aux quatre coins de l’île, c’est qu’ils ont compris que l’Etat est « défaillant » dans sa mission de « veille aux frontières et d’expulsion des étrangers en situation irrégulière. Et ce même État leur reproche d’entretenir, par le travail illégal et l’hébergement, l’immigration illégale, et leur demande d’assumer leur part de responsabilité. A cela, des villages mahorais répondent par des manifestations ponctuelles et des expulsions collectives des étrangers. »
C’est encore une fois le nœud du problème, avec un Etat qui laisse à Mayotte la population assumer sa part de responsabilité, là où un Breton ou un Alsacien n’auraient pas à le faire dans un même contexte.
Logiquement, les signataires du courrier adressé au président de la République, indiquent « ne pas comprendre ni accepter, sous prétexte de lutter contre l’immigration illégale, que des citoyens de notre État, de notre République s’arrogent le droit de faire la loi. »
« L’Etat doit s’investir »
Des actions commises sans discernement contre des étrangers, dont certains ne l’étaient pas, et c’est aussi le danger, et « sous bonne escorte de la Gendarmerie nationale (…) Devons-nous comprendre ce silence comme le signe de l’inanité de l’État et de l’absence de l’État de droit à Mayotte ? »
Ils accusent l’Etat faute de pouvoir faire mieux : « ?ous n’avons aucunement l’intention de tout faire porter à l’État. Nous reconnaissons le manque de vision et l’amateurisme de la classe politique mahoraise », mais justement il a un rôle d’exemplarité à jouer, « l’État a réduit la départementalisation au déploiement des institutions et des textes du droit commun à Mayotte. Il manque les moyens humains, financiers et diplomatiques. »
Ils appellent l’Etat non seulement, comme y invite la Cour des Comptes, à investir, mais aussi à « s’investir davantage à Mayotte. » C’est bien ce qui manque ici, un investissement personnel étant synonyme d’intérêt porté au bénéficiaire…
« Les Mahorais ne doivent en aucun cas faire ce que les autres citoyens ne font pas dans le cadre de la République et au nom de la République », concluent-ils.
Mouvement social : « Le peuple, victime des imposteurs »
C’est ainsi que s’intitule la deuxième réaction, le Communiqué de Zaïdou Bamana rédigé par un journaliste et écrivain, Zaïdou Bamana, un des 24 fils de Younoussa Bamana. Elle porte sur le mouvement de grève et dénonce les pompiers pyromanes, qui restent les mêmes hier qu’aujourd’hui.
Il est intéressant à plus d’un titre. D’abord, parce que nous l’avons interviewé dans le cadre d’un autre média, à la fin du mouvement de 2011, et qu’il nous avait décrit des syndicalistes qui ne « s’étaient pas documentés sur les sujets qu’ils abordaient avant de rencontrer préfet et patronat », « la population a donc eu plus l’impression d’une bouffée de colère plutôt qu’une réflexion bien murie. » Mais aussi, parce qu’il sort de la plume même de celui qui a, avec constance depuis plus de 10 ans, dénoncé l’absence de « Big push », d’investissements massifs de l’Etat, comme en ont bénéficié les autres DOM à leur création. C’est donc plus la forme de la manifestation que le fond qu’il dénonce.
Un texte qu’il faut lire de bout en bout, pour saisir la logique de l’écrivain, qui commence par le sentiment « d’impunité des instigateurs de 2011 », qu’ils justifient par « la fierté d’avoir participé à un mouvement syndical qui est entré dans l’histoire et l’orgueil d’avoir défié l’autorité de l’Etat, les puissances capitalistes et les forces de l’ordre. »
« Le héros de la grève à l’Assemblée nationale »
Mais il pointe aussi à plusieurs reprise le « mépris affiché par l’Etat », qui a fait le jeu des instigateurs, qui ont poussé jusqu’au bout « l’arrogance en élisant le héros de la grève pour siéger à l’Assemblée nationale », un choix que la population comprendra plus tard qu’ « il était fait pour les mauvaises raisons. »
Loin « des remords et de la repentance », ils deviennent « récidivistes », et « préparent une fois encore le terrain aux casseurs, pilleurs et incendiaires, leurs alliés objectifs, opportunistes et de circonstances. » Zaïdou Bamana va plus loin en les suspectant : « tuer le secteur privé, c’est un des objectifs de leur paradigme* indépendantiste et anti-français. »
« Fiers, orgueilleux, arrogants et impunis, les instigateurs de la grève de 2016 ont conscience que le pouvoir appartient au peuple. Une minorité leur a conféré le droit de manifester en son nom. La majorité silencieuse ne les a pas autorisés à prendre toute la population en otage, à entraver la liberté de circulation et la liberté de travail », conclut le journaliste dans un papier qui prend une forme d’éditorial.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* « Il faut changer de paradigme », phrase phare de Boinali Saïd Toumbou qui menait la grève de 2011, et deviendra député
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