Le malaise gagne l’ensemble du territoire de Mayotte. Les étrangers en situation irrégulière et régulière d’abord qui ont été délogés, ou craignent de l’être, du village où ils vivent depuis parfois plus de 10 ans sans avoir obtenu de titre de séjour. Une situation de pourrissement qu’il est bien difficile maintenant à l’Etat de régler et qu’il aurait fallu trancher de suite.
Les Mahorais d’un autre, mal à l’aise de voir ces familles délogées et vivre leurs nuits dehors, souvent pris à partie par les premiers pour leur nationalité française. Et qui ne savent plus comment réagir lorsqu’une nouvelle case fleurit sur un de leurs terrains. Face à cela, les métropolitains (wazungus) restent rarement insensibles, certains traitant les délogeurs de xénophobes, d’autres ne comprenant pas pourquoi le droit n’a toujours pas été appliqué pour protéger une si petite île de forts flux migratoires.
Le cadi de Mtsapéré dénonce l’illogisme de l’Etat : « D’un côté de titres de séjour sont donnés sur un petit territoire, et d’un autre, on leur interdit de s’installer en métropole ! »
Les pacifistes écartés
C’est un peu tout cela qu’on retrouve sur la place de la République en ce moment. Les étrangers en situation régulière, c’est à dire muni d’un titre de séjour, y ont passé leur deuxième nuit, faute d’avoir pu investir le terre-plein de Mtsapéré, cette solution de l’Etat s’étant heurté au refus des habitants du quartier.
Des tensions continuent à se faire sentir au sein même de la communauté comorienne. Le président de l’association Anjouan-Mayotte, Omar Thani, pivot de la négociation raisonnée avec la préfecture, n’est pas revenu sur la place. Il avait été menacé hier lorsqu’il avait demandé de ne pas s’approprier indûment les terres des mahorais.
Perché sur la citerne d’eau installée par la SMAE, un homme appelle au calme : « Ne cédons pas aux provocations que certains mahorais viennent nous faire ici ! Et de manière générale, ne leur faisons aucun mal. »
De son côté, Rasta, président de l’association kawénienne AJKE, propose de récupérer les enfants pour leur donner un suivi éducatif, « nous avons des jeux là-bas aux bangas », en vain. Un homme à côté de lui s’énerve, « ils utilisent les enfants comme vitrine de la misère. Les parents sont d’accord pour que nous les prenions en charge momentanément, mais pas ceux qui encadrent. »
Pillage cette nuit
Une caisse est déposée à terre, chacun y verse son obole, « c’est pour acheter à manger et des couches », nous explique-t-on. Mais cette nuit, alors que la plupart des « décasés » s’étaient endormi, la nourriture a été pillée : « ce sont les gens qui viennent et qui gravitent autour », explique une jeune femme membre d’un comité qui vient de se créer dans l’urgence. Il n’a pas encore de nom, mais œuvre au bon fonctionnement de ce camp provisoire. En tant qu’infirmière elle apporte son aide, « j’ai pratiqué des soins sur un enfant trachéotomisé », rapporte-t-elle.
La préfecture a demandé que soit mis en place un mini-poste de secours avancé, tenu par la Croix-Rouge : « Nous avons déjà évacué en urgence une petite fille », indique un bénévole. En l’absence de sanitaires, c’est le lagon qui sert d’évacuation.
Face à ce chaos, un tract émanant du Front Démocratique, favorable au retour de Mayotte au giron comorien, exploite la situation. En rappelant que Mayotte appartient à « un espace de circulation naturel », et que l’égalité républicaine « est forcément un mirage dans la colonie », ils évoquent les opérations de délogement comme l’émanation de « frustration, et d’appât du gain ». « N’attendons rien de l’Etat français ! », incite-t-il.
Reprise en main par la préfecture
De son côté, et malgré le départ de Seymour Morsy, la préfecture semble reprendre les choses en main. Elle condamne fermement tout d’abord dans un communiqué « les événements qui se sont déroulés sur plusieurs communes de l’île ce week-end et ont conduit à l’expulsion de familles et à la destruction de bangas. »
Depuis hier, une liste des qualités des personnes présentes est attendue, « ceux qui sont en situation régulière doivent pouvoir retourner dans les villages dont ils sont issus. Il en va notamment du suivi de scolarisation des enfants », explique Bruno André, Secrétaire général de la préfecture qui assure l’intérim entre deux préfets.
Un point qu’il va aborder avec les élus, les maires et les conseillers départementaux cet après-midi lors d’une réunion à 18h, « nous allons examiner ensemble la situation », explique-t-il. Une solution de relogement pourra être examinée au cas par cas, « mais toujours dans les communes d’origine. » Il dément la rumeur d’un refus par l’Union des Comores d’accueillir les expulsés.
L’hémorragie de déferlement de décasés place de la République pourrait ainsi être évitée, ce qui ne peut que satisfaire les bouénis qui n’ont pas pu ouvrir le marché couvert et qui ont prévenu : « Nous agirons si la situation n’a pas évolué demain. » Des renforts de gendarmerie ont été demandés par la préfecture. Au cas où.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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