Avec le conseiller départemental Chihaboudine Ben Youssouf à sa tête, l’objectif du collectif est d’engager les démarches « pour proposer des solutions crédibles aux problèmes préoccupants du foncier et de la fiscalité à Mayotte auprès des instances concernées », et ceci, en tenant compte « des mesures législatives et réglementaires en vigueur à Mayotte. »
Deux pétitions ont été lancées, qui ont recueilli 17.144 signatures, validées par un huissier de justice.
Cette action est provoquée par une mise en place chaotique de la fiscalité de droit commun à Mayotte. Une petite frange de la population paie un impôt qui se révèle dans certaines communes, confiscatoire. C’est à dire qu’il représente une charge excessive au regard des capacités de certains habitants à payer. Ce fut le cas d’un homme âgé, un bacoco de Koungou qui s’est vu réclamer 4.500 euros de taxe foncière quand sa retraite se monte à 400 euros.
La ZPG, à petits pas
D’autre part, le cadastre n’est pas encore bouclé, la titrisation des parcelles n’étant pas abouti, et l’adressage est défectueux : résultat, seul un faible pourcentage des contribuables identifiés est imposé, provoquant une rupture d’égalité devant l’impôt, rendant la mesure inconstitutionnelle. Car, l’article 1 de la Constitution française stipule que « La France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens… »
Le collectif « Fiscalité dérogatoire et foncier » a donc réagi dans l’urgence, et pointe les difficultés à surmonter avant de pouvoir mettre en place le droit commun dans ce domaine : « Alors que le droit de propriété était basé sur l’occupation paisible et reconnue de tous, depuis 2008, le droit de propriété doit être prouvé par un acte notarié pour régulariser les terrains privés, en application de l’ordonnance du 21 avril 2006. »
Sur les Zones des 50 Pas géométriques (ZPG), appartenant désormais à l’Etat, les occupants doivent acheter le terrain qu’ils occupaient depuis des années, « en s’acquittant d’un prix dissuasif », que le collectif met en parallèle avec la délibération du département autorisant la cession à titre gratuit de ses terrains domaniaux. Mais comme l’avait souligné le député Aboubacar, le département n’a que très peu avancé sur son foncier. Enfin, rappelant que 84% de la population vit sous le seuil national de bas revenus, il souligne que « la plupart des Mahorais se trouvent en situation d’incapacité à prouver leur droit de propriété à cause de leur incapacité à payer les droits de cession ou de succession. »
L’Etat paiera
La première pétition demande une régularisation foncière à titre gratuit, des ZPG et des propriétés des personnes publiques occupées par les habitants en utilisant les outils juridiques applicables à Mayotte, et la seconde la mise en place d’une fiscalité dérogatoire pendant 30 ans sur le foncier.
Pour appuyer sa demande, Chihaboudine Ben Youssouf, l’initiateur des deux pétitions rappelle qu’en 2013, le conseil général avait voté un avis demandant des adaptations de l’ordonnance de 2013, « qui n’a pas été pris en compte. »
Pour que ce gel de prélèvement fiscal ne grève pas les budgets des communes et du département, le conseiller départemental préconise que l’Etat prenne en charge le manque à gagner des collectivités. Un frein non négligeable de l’action menée en concertation avec l’ancien président Daniel Zaïdani, les temps n’étant pas aux largesses de la part du gouvernement.
Le député Aboubacar y travaille
Son meilleur appui est le constat fait par la Cour des Comptes d’une départementalisation « mal préparée et mal pilotée ». Mais cette cartouche, les élus, parlementaires, conseillers départementaux et maires l’ont déjà utilisée lors de leur entretien performant avec Manuel Valls en février dernier, où pour la première fois, ils parlèrent d’une seule voix.
Mais si le premier ministre a pris des engagements, ils ne concernent pas les problématiques listées par les pétitions. En matière de justice fiscale, il a simplement été acté par Matignon que le député mahorais Ibrahim Aboubacar devra poursuivre son expertise : « Aucune décision ne semble idéale, ni toucher à la valeur locative, ni un dégrèvement. Nous allons travailler cela avec le cabinet ministériel pour une proposition à inscrire dans quelques mois lors de la présentation du projet de loi de finances », nous avait indiqué le député à l’issue de la rencontre ministérielle.
Trois ministres sensibilisés
Pour tenter de mobiliser à Paris, Chihaboudine Ben Youssouf s’est adressé à Jean-Pierre Sueur, Vice-Président de la Commission des Lois du Sénat, qui avait souligné les risques que présente l’application de la fiscalité de droit commun compte tenu des « difficultés sociales et économiques auxquelles les Mahorais sont confrontés. »
Ce dernier lui a répondu en indiquant avoir écrit à Michel Sapin, Ministre des Finances et des Comptes publics, à Christian Eckert, Secrétaire d’Etat au Budget, et à George Pau-Langevin, Ministre des Outre-Mer, « pour appeler tout particulièrement leur attention sur l’importance et l’intérêt de vos propositions. »
Une autre action avait également été engagée : celle de la mission sénatoriale sur le foncier en Outre-mer, conduite par le président de la Délégation sénatoriale à l’outre-mer, Michel Magras, et qui était passée à Mayotte en octobre 2015. Les sénateurs s’étaient dits « interloqués » par l’étendue des problèmes et des propositions vont la aussi être faites au gouvernement.
La voix de Chihaboudine saura-t-elle se faire entendre au dessus des propositions et du travail déjà en cours ? Il va détailler son action devant la population ce samedi 4 juin dans l’hémicycle Younoussa Bamana à 9h.
En tout cas, des mesures d’urgence sont à prendre car en matière de fiscalité, on a mis la charrue loin devant les bœufs à Mayotte.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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