Travaillant depuis trente ans dans l’évaluation des politiques publiques (emploi, formation, insertion, développement local) et dans l’ingénierie de projet pour l’insertion, Philippe Labbé a publié de très nombreux articles, et est l’auteur de plusieurs ouvrages, proposés par les Éditions Apogée où il est directeur de la collection « Les Panseurs sociaux ».
Un taux de chômage officiel à Mayotte de 19,6%, mais qui avoisine les 50% s’il on comptabilise les non inscrits, et un taux d’activité des jeunes qui était de 10% en 2012… Au delà de l’échec, il faut apporter des solutions. Les Missions locales ont un grand rôle à jouer en accompagnant les jeunes de 16-25 ans sortis du systèmes scolaires
Mais à Mayotte, la Mission locale n’a pas une bonne image auprès des organismes de formation : « J’ai ouvert un stage mais avec seulement la moitié des jeunes promis par la Mission locale, et beaucoup n’avait pas le bon profil », se confie l’un d’entre eux, qui préfère travailler avec Pôle emploi.
La routine tue
Pour Zakia Dohonzo, la directrice de la Mission locale de Mayotte, le budget de 1,6 millions d’euros, à plus de 80% financé par l’Etat et les 50 salariés ne sont pas suffisants : « Un seul conseiller en insertion professionnelle doit gérer 600 jeunes ici, contre 250 en métropole. » La présidente Halima Bamoudou, évoquait les situations sociale et sanitaire très précaires de ces jeunes à Mayotte.
Pour revenir aux fondamentaux de cette mission en direction des exclus du système, Philippe Labbé rappelait l’esprit des premières Missions locales : l’engagement et l’innovation. Et selon lui, la routine tue ce genre d’entreprise : « Comme le soulignait Bertrand Schwartz, le père des Missions locales, décédé en juillet dernier à 97 ans, il faut faire réfléchir les jeunes sur le sens de leur activité, de leur utilité sociale. On innove quand on est révolté, c’est ce qui m’est arrivé. Car ces vies de jeunes qui se consument, je ne m’y fais pas. »
Philippe Labbé se moque de ces discours de politiques qui parlent de la jeunesse avec une voie enflammée, « qui ne sont ensuite suivis que d’indécisions », appuyé par une cadre de la Mission locale, « nos élus préfèrent ensuite inaugurer des bâtiments comme les MJC ». Autour des projets jeunesse, point de pots de vin. Les points de vue convergent : « Les élus n’arrivent pas à se projeter dans la formation professionnelle de leurs jeunes. »
L’Education nationale accusée
« A Mayotte, on traite de la jeunesse comme d’une patate chaude, que l’on refile dans les mains de l’Etat », reprend le sociologue, « les jeunes ne sont pas en difficulté, ils sont mis en difficulté. » En cause, un marché du travail national très sélectif, « on est employé de surface à Bac plus 3 », et l’absence d’utilisation de cet outil par les collectivités, locales et départementale, « beaucoup de départements en France ont mobilisé les Missions locales pour leur politique en faveur de la jeunesse. »
L’Education nationale est pointée du doigt : « Les jeunes arrivent à la Mission locale en échec, souvent en raison de leur illettrisme. Nous ne pouvons pas boucher ce trou là ! », se confie un des acteurs de la Mission locale.
Autre travers, repris par Jacques Launay, représentant la Dieccte (Direction du travail), la Mission locale de Mayotte est trop éloignée des acteurs économiques du territoire, précisément ceux vers lesquels ils peuvent insérer : « L’insertion ne peut se faire que par la formation. C’est pourquoi une cellule entreprise va être mise en place. »
La preuve par le facteur
Un manque de coordination entre les acteurs partenaires que sont l’Etat, le département, les communes, et les acteurs associatifs est aussi critiqué. « Ce n’est pas le jeune qui est ‘au centre’ du projet, mais l’intérêt de l’institution. Or, la jeunesse mahoraise n’a que faire des combats de clochemerle. Il faut un pilotage politique départemental, et mobiliser les élus communaux », concluait Philippe Labbé.
La Mission locale a un rôle prépondérant à jouer sur notre territoire où, tout emploi occupé par un jeune, est un délinquant potentiel en moins. Mais il faut avoir envie d’y arriver.
A ce titre, citons en exemple une réussite de la Mission locale de Rennes, racontée par son directeur Alain Jourdan : « Le mari, facteur, d’une de nos salariées lui rapportait tous les soirs que les chefs d’entreprise qu’il croisait au cours de ses tournées, se lamentaient de ne pouvoir recruter de main d’œuvre adapté. Nous avons donc eu l’idée de le solliciter afin qu’il collecte ces offres d’emploi. Et notre panel s’est accru d’une soixantaine de propositions de recrutement. »
Avoir des idées, les proposer, les appliquer… voilà ce qui ressort de la matinale des 20 ans de la Mission locale.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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