Au départ, Ahmed* fait de menus travaux chez sa voisine, Sylvie*, qui tient un commerce à Bouéni. De petits services en discussions, une amitié se noue, puis une relation amoureuse, « passionnelle », avoue Sylvie. Trois ans qui vont se terminer en cauchemar.
Elle parle de violences répétées, finira par déposer plainte en 2012, à l’issue de laquelle il lui sera interdit de la revoir. Ce qu’il transgresse, « à chaque fois, il s’impose », dira-t-elle à la barre.
La situation s’aggrave au cours de deux soirées. Le 8 août 2015, il veut sortir avec des copains. Mais il ne travaille pas en dehors des petits boulots effectués pour Sylvie. Selon son avocate, il n’a jamais voulu qu’elle lui signe un contrat de travail, en raison de leur relation.
Elle lui refuse 50 euros qu’elle lui aurait promis. « Vous les blancs, quand vous parlez de promesse, c’est une promesse », lance-t-il au juge Laurent Sabatier, en évoquant la couleur de peau de sa compagne… Il semble ainsi justifier ses coups. « J’étais un peu bourré pour me souvenir de tout », avait-t-il au juge d’instruction. Elle tombe en arrière, sa tête frappera le sol, sans qu’elle se souvienne précisément des détails, mais l’expertise médicale fera ressortir des hématomes provenant vraisemblablement de coups de pieds au niveau des hanches, et du dos.
84.000 femmes majeures violées chaque année en France
Car souffrant encore quelques jours après, elle voudra se rendre à l’hôpital, évidemment Ahmed veut l’accompagner. « Je l’amène si elle ferme sa bouche », la substitut du procureur Prampart, rappellera lors de son réquisitoire les circonstances de la visite médicale, « vous raconterez qu’il s’agit d’un accident de scooter ».
Ce n’est pas la première fois qu’il est violent, « mais le passé c’est le passé », assène-t-il à Laurent Sabatier, en répondant systématiquement et longuement à côté du sujet. Un passé qui le rattrapera en fin de matinée, au moment du délibéré.
Quelques jours après, dans la nuit du 18 au 19 août, les choses vont empirer. Alors qu’elle a à plusieurs reprises éloigné ses affaire personnelles, il se glisse dans le lit qui n’est plus conjugal, et tente d’avoir une relation sexuelle non consentie, « contre son propre conjoint, ce sont des faits punissables depuis 2006 », rappelle le parquet. Le jugement se déroule le jour même de la publication du chiffre d’une moyenne de 84.000 femmes majeures violées chaque année en France.
« Rassurée de le savoir à Majicavo »
Sylvie viendra raconter à la barre que cette nuit là, Ahmed a commencé à lui caresser le dos, pour ensuite la renverser, la griffer et se plaquer contre elle. « Je me suis défendue en le mordant, il m’a serré au cou pour essayer de me pénétrer », ce qui n’arrivera pas. Une scène qui dure 20 minutes selon elle, il finit par s’endormir. Elle décide de déposer plainte dès le lendemain.
« Votre relation est passionnelle ? », résume Laurent Sabatier, pour tenter une explication, « oui » répond Sylvie qui suit des soins pour comprendre l’engrenage. Le juge va l’y aider : « Vous avez supporté ces violences par amour et par peur, mais lorsque cette dernière est devenue trop forte, vous avez décidé de déposer plainte. » Et la victime raconte des mois de violences : « Il ment, me terrorise. Mon commerce étant ouvert, il s’invitait quand il le voulait, ‘tu vas voir ce soir, tu vas dérouiller’, me disait-il. Je suis tellement rassurée depuis qu’il est à Majicavo. »
Après sa plainte, les gendarmes vont le chercher 10 jours durant, jusqu’à ce 29 août où il se fait piéger chez elle. Il est arrêté.
Arrivé menotté entre deux gendarmes en début d’audience, il a demandé la parole « j’ai des choses à dire », et tantôt dans un français hésitant, tantôt en shimaoré, explique qu’il se tient tranquille en prison, « je travaille et pense à la manière dont je me conduis pour quitter Majicavo au plus vite pour retrouver ma mère qui a des problèmes de santé. Elle est aveugle depuis peu. » Une mère omniprésente dans ses interventions, l’expert psychiatre évoque une immaturité affective avec dépendance infantile à sa maman, et demande une prise en charge psychothérapeutique. « Je vais bien, je ne vois pas pourquoi je me soignerai », répond-il.
Laurent Sabatier aura laissé le prévenu s’exprimer, dans le secret espoir qu’il se dévoile. Ce qui fut fait, puisque celui qui se tenait à la barre, en pantalon blanc, chemisette bleue et mocassin, a donné 3 heures durant l’impression d’un individu qui vient de fauter pour la 1ère fois : « Etes-vous un honnête homme ? », interroge le juge, « ça dépend pourquoi », Ahmed se tient soudain sur ses gardes. « Parce que vous avez 23 condamnations à votre actif pour vols, dont la première en 1998, à 8 mois de prison alors que vous aviez un casier vierge. » Ça fait lourd, et on ne voit plus l’affaire sous le même angle.
La substitut du procureur demandait la peine maximale de 7 ans d’emprisonnement avec interdiction de rencontrer la victime.
L’avocate de la défense essaiera de défaire « l’image du monstre » : « Comme devant sa maman, il était un petit garçon devant Sylvie qui avait 13 ans de plus que lui », qu’il accuse de vouloir lui interdire de sortir par jalousie. On avait en effet appris quelques minutes plus tôt qu’il avait une autre relation avec Julie* qu’il qualifie au départ d’amicale, pour consentir, « c’est moi qui l’ai quittée. »
L’affaire, criminelle au départ, a été correctionnalisée. Il ne sera pas condamné à la peine maximale, mais à 4 ans de prison ferme avec maintien en détention pour les faits de violence et d’agression sexuelle. S’y ajoute la révocation du sursis de 18 mois de 2012, ce qui porte la peine d’emprisonnement à 5 ans et demi. Il doit accepter un suivi socio-judiciaire, a interdiction de rencontrer la victime chez elle ou sur son lieu de travail, doit l’indemniser et verra sa condamnation portée au fichier des agressions sexuelles. L’action de Sylvie est reçue en tant que partie civile, qui doit être dédommagée de 5.000 euros de préjudice moral.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte
* Prénoms d’emprunt
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