C’est une étude qui pourrait changer la donne en matière de commerce à Mayotte. En septembre 2015, l’observatoire des prix et des marges (OPMR) engageait une étude sur l’éventuelle création à Mayotte d’une centrale d’achat ou plateforme de gros de produits de première nécessité. L’idée était évidemment de «stimuler la concurrence» en permettant aux petits commerçants, les doukas, de disposer d’une «filière d’approvisionnement indépendante» des 3 gros acteurs actuels «omniprésents» de la distribution (Sodifram, BDM-Score et Somaco).
Deux cabinets* ont été chargés d’une étude et sur 92 pages, ils offrent un panorama inédit du commerce à Mayotte et dressent des perspectives intéressantes. Les deux sociétés ont présenté leur travail le 17 mai dernier, puis la préfecture et l’OPMR ont validé leur recommandation: favoriser l’émergence de nouveaux acteurs.
Selon l’étude, le marché global de la «consommation généraliste» à Mayotte se situe entre 300 et 370 millions d’euros avec une «offre relativement limitée et une claire insuffisance de diversité». L’étude note «un nombre de références-produits par magasin inférieur de l’ordre de 50% avec la métropole», en particulier pour les produits les plus consommés : viande, poissons, riz, conserves, produits secs…
Trois gros face à des milliers de petits
Mais c’est surtout le rapport de force entre les différents acteurs qui est clairement posé. A l’heure actuelle à Mayotte, trois réseaux de distribution existent: des grandes surfaces structurées avec «peu de points de vente» (54 grandes et moyennes surfaces) et deux réseaux d’une «multitudes de points de vente très atomisés, déstructurés et fragiles»: les «commerces de proximités indépendants (2.000 à 2.500 doukas) et les «commerces de rue» (1.000 à 1.500) qui vendent essentiellement des fruits et légumes et du poisson.
Les trois gros groupes réalisent entre 260 et 303 millions d’euros de chiffre d’affaires avec la prédominance de la Sodifram (60% de parts de marché et environ 180M€), 85M€ pour BDM et 33M€ pour la Somaco.
Des doukas alimentées par les grandes surfaces
Le paysage des doukas est beaucoup plus éclaté: 10 supérettes à «activité importante», 56 doukas à activité «significative», 300 à 400 doukas «moyennes», 500 à 600 doukas de petite taille «fragiles» et entre 1.200 et 1.500 «doukas de subsistance». Dans ces épiceries, l’offre est souvent limitée quelques dizaines ou centaines de produits de 1ère nécessité alimentaire et de grande consommation. Les trois produits «stars» des doukas sont l’huile, la farine et le lait.
Problème: «environ les 2/3 de leur offre» provient des 3 acteurs dominants qui leur accordent des marges très faibles «de l’ordre de 5%, voire nulles». L’étude explique que seule la Somaco «concède des marges supérieures de l’ordre de 10%».
Ces doukas représentent au total un marché global de l’ordre de 25 à 40 millions d’euros et 65% d’entre elles font moins de 10.000 euros de chiffre d’affaires.
Changer les approvisionnements
Le rapport de force est donc très inégal: d’un côté les grandes surfaces avec 86% de parts de marché avec 54 magasins, de l’autre le commerce de proximité avec 10% de parts de marché et 2.000 points de vente… un «marché très concentré entre peu d’acteurs dominants, avec toutes ses conséquences sur la diversité de l’offre et les prix», note l’étude.
Pour changer la donne, l’étude planche sur un nouveau mode d’approvisionnement pour les indépendants. Actuellement, les trois gros ont leur propre centrale d’achats qui couvre 60 à 80% de leur offre alimentaire. On trouve aussi une vingtaine de grossistes, un tissu «très réduit», aux perspectives de développement «entravées par la prédominance» des acteurs majeurs.
Une rupture avec la logique des grandes surfaces
Pour «bouleverser l’ordre établi» et «restaurer le pluralisme concurrentiel», l’étude écarte la création d’une plateforme d’importation et de vente en gros. Si elle semble «pertinente sur le fond», «elle n’est pas de nature à régler la problématique actuelle» car elle ne pourrait pas, d’un point de vue juridique, être réservée aux indépendants. Les gros acteurs pourraient donc rapidement en prendre le contrôle.
L’étude propose donc un autre modèle de distribution de détail. Il s’appuierait sur le vaste réseau de moyens ou petits commerces indépendants, «marquant une rupture avec la logique actuelle des grande surfaces».
Trois actions seraient à mener pour y parvenir. D’abord, une structuration des commerçants indépendants de taille significative, en coopératives ou groupements d’achats. Selon l’étude, «une politique active de financement et d’accompagnement» doit viser la création de 3 à 10 coopératives regroupant une vingtaine de commerçants chacune.
Ensuite, il faudrait créer 5 à 10 nouvelles supérettes structurées et de proximité de plus de 100m2, avec une offre complète de produits.
Enfin, 3 à 5 grossistes devraient voir le jour, des acteurs «d’un nouveau genre dédiés à l’approvisionnement des petits commerçants».
50% du marché pour les indépendants d’ici à 10 ans
Les conséquences de la mise en œuvre d’une telle politique seraient une révolution des modes de consommation, avec d’ici à 5 ans, le triplement de la part de marché des «indépendants». A 10 ans, une telle politique serait de nature à «inverser les rapports de force actuels au profit du commerce de proximité indépendant» qui pourrait prendre plus de 50% de parts de marché, ramenant les grandes surfaces à 30% ou 40%, estime l’étude.
Pour les dispositifs et les appels à projets, le document estime que des fonds européens (FEDER) peuvent être mobilisés à condition d’accompagner les porteurs de projets.
L’étude conclut, de façon aussi philosophe qu’optimiste, sur une phrase de Nelson Mandela: «Cela semble toujours impossible, jusqu’à ce qu’on le fasse».
RR
www.jdm2021.alter6.com
*Mzé Conseil et Bolonyocte Consulting
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