A Mayotte, lorsqu’on s’interroge sur la compatibilité le développement agricole et l’aménagement du territoire, l’affaire prend une tournure particulière. « Nous sommes en présence de beaucoup d’exploitations familiales et d’une dégradation progressive du milieu naturel, notamment de la forêt. Bien loin de la forêt primitive désormais », souligne Frédéric Bonnet, cogérant du cabinet Obras, qui a notamment remporté le Grand Prix d’urbanisme en 2014.
Il en déduit que si le foncier est un blocage, il est aussi une chance : « Il préserve d’une urbanisation galopante, et donc la nature, une des ressources de l’île. » Un raisonnement qui ne tient pas pour l’habitat sauvage qui n’a cure de ces blocages, et Naïla Boura M’colo, la directrice de la Chambre d’agriculture mettait en valeur cette double peine : « D’un côté, il détruit la nature, mais d’un autre il est un frein à l’agriculture, puisque même lorsqu’il s’agit d’un terrain départemental, les occupants sans titre bloquent la régularisation et la mise en culture. »
Bertrand Wybrecht, Directeur adjoint de la Direction de l’Alimentation, de l’agriculture et de la Forêt (DAAF) se satisfait d’une agriculture « peu dépendante des aides de l’Etat et de l’Europe, c’est une force », mais sans doute une explication de son sous-développement. Il avance des surfaces en croissance à 8.000 ha. Et pour contrer la menace des espaces naturels, il rappelle qu’existe un outil, la Commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
La position « révolutionnaire » de la DAAF
Un outil pour manchot, s’il on en croît les participants qui déplorent l’absence de contrôles et les sanctions : « Nous tenons un langage de bureaucrate, nous ne parvenons pas à sanctionner », soulève Soulaimana Boura, maire de Bandraboua, appuyé par Cris Kordjee, Responsable de l’antenne du Conservatoire du Littoral à Mayotte, « nos gardes assermentés délivrent des PV, mais 21 jugements ont été rendus et non exécutés. »
Bertrand Wybrecht propose un compromis étonnant : « Comment faire appliquer une décision de justice quand il s’agit de chasser 2 zébus dans la forêt ?! Il y a des choses qu’on n’arrivera pas à régler. Soit le propriétaire du terrain se cantonne au tracé initial du terrain, avec la difficulté d’expulser l’occupant, soit il accepte cet occupant illégal, en redessinant le contour de son terrain ». Mais jusqu’à quelle limite ? Un jour viendra où son terrain se réduira à la portion congrue. Une opinion, qualifiée par Cris Kordjee, de « révolutionnaire » pour un représentant d’un service déconcentré de l’Etat, et qu’il est difficile à admettre pour un propriétaire détenteur d’une autorisation d’expulser.
Elle interrogeait : « A quel moment on stoppe le phénomène ? Il faut arrêter le flux, et trouver une solution pour régulariser les personnes déjà installées. Depuis que nous discutons, un village entier a du se construire. Il y a 10 ans, Tsoundzou 1 était boisé, aujourd’hui, c’est fini. »
« Appel d’air »
Des réunions et forums entiers dédiés à la protection de la nature, mais qu’on laisse détruire sans rien faire : « Les jugements inappliqués, c’est un message désastreux donné aux occupants illégaux qui en rigolent, et à la population qui se sent de plus en plus menacée. Il faut freiner ce laisser-aller, cela ne rend pas service à la population et aux budgets publics. Ça coute des millions, mais ce seront des milliards si on ne fait rien », met-elle encore en garde.
Un message défaillant, « la loi est la même pour tous et en ne l’appliquant pas, on créée des précédents et un réel appel d’air. »
Pour Raïssa Andhum, conseillère départementale chargée de l’Aménagement et du Développement durable, il faut aussi inclure les Mahorais à la réflexion générale : « Ils veulent du travail, mais ne veulent pas libérer le terrain pour installer les entreprises. »
Le foncier, « la bête noire » de tous les secteurs en développement, ainsi que le rappelait Hamidou Abdallah, Agence de service et de paiement, qui propose d’aménager la législation, « les 8 héritiers d’un terrain ne peuvent le valoriser faute d’une dénomination précise », et d’alléger les frais, « le propriétaire d’une parcelle a du débourser plusieurs milliers d’euros au notaire pour régulariser un terrain indispensable à la construction d’un collège. » Deux points facteurs de blocage.
Ce jeudi, le colloque propose une table ronde autour du foncier justement.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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