Le service public de la justice est aux premières loges d’une contradiction bien française: un même mode de fonctionnement et les mêmes règles partout, mais pour un territoire dispersé sur 3 océans.
Le sénateur Thani Mohamed Soilihi a rédigé un rapport qui se penche sur la justice dans l’ensemble des territoires français. Le texte était examiné par la commission des lois du Sénat, mercredi dernier.
Le sénateur soulève d’abord le problème de l’attractivité des postes ouverts en Outre-mer aux magistrats, greffiers et fonctionnaires de la justice. Concernant l’océan Indien, il critique la règle dite «Outre-mer sur Outre-mer ne vaut», qui interdit des affectations successives dans les juridictions ultramarines.
«Il serait judicieux qu’au sein du ressort de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, un magistrat puisse successivement occuper un emploi à Mayotte et à La Réunion, de manière à compenser une destination moins attractive par la possibilité de rejoindre une affectation plus convoitée», suggère le sénateur.
Le sénateur regrette aussi une «approche standardisée de la chancellerie» concernant les bâtiments et les équipements, alors que les juridictions ultramarines font face à des contraintes particulières (conditions climatiques, éloignement, etc.), ce qui peut engendrer des surcoûts de fonctionnement pour leur maintenance et leur entretien.
Droit commun et particularités
Alors que les réflexions se poursuivent autour de réformes de la justice en métropole, Thani Mohamed soilihi regrette que les spécificités sur l’organisation de la justice ou des procédures applicables dans les Outre-mer ne soient qu’insuffisamment abordées. Et pourtant, ces spécificités sont nombreuses.
Pour ne parler que de Mayotte, la départementalisation a considérablement rapproché l’organisation de la justice de ce qui prévaut partout ailleurs. Dès 2011, une cour d’assises et une cour d’assises des mineurs ont remplacé les «cour criminelles», un pôle de l’instruction a été créé à Mamoudzou, de même qu’un tribunal de l’application des peines.
«Ce rapprochement vers le droit commun n’a cependant pas mis fin à des particularités procédurales». Ainsi, par exemple, les jurés des cours d’assises à Mayotte ne sont pas tirés au sort sur les listes électorales mais dans une liste de citoyens préétablie par le préfet et le président du tribunal de grande instance, à partir de propositions du procureur de la République ou des maires. De même, le nombre des jurés est réduit comparés aux autres juridictions.
Risque de paralysie de la cour d’assises
Mais le droit commun n’est pas toujours positif. Ainsi, un rapprochement de la norme nationale pourrait poser problème. Les règles qui encadrent la récusation des jurés s’appliquent désormais chez nous, ce qui pourrait compliquer la tâche du tribunal. Selon le rapport, les chefs de cour de Saint-Denis de La Réunion ont souligné «un risque majeur de blocage des sessions à venir». Ils demandent donc que la loi prenne en compte cette situation en «urgence» pour «éviter la paralysie de la Cour d’assises».
Autre anomalie relevée par le sénateur, la présence à Mayotte d’une «chambre d’appel détachée»… Tous les départements disposent ainsi d’une cour d’appel sur leur territoire, à l’exception de Mayotte. «Cette singularité est préjudiciable à la prise en compte des spécificités mahoraises dans l’approche juridictionnelle, ne serait-ce qu’à travers la définition de la politique pénale qui relève du parquet général», explique Thani Mohamed Soilihi.
Le nombres de procédures de reconduites
Problème encore concernant les reconduites à la frontière qui représentent à Mayotte la moitié de l’ensemble des éloignements de la France entière. «L’évolution du contentieux des reconduites à la frontière (la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers) a conduit à des difficultés d’application à Mayotte.»
Désormais, c’est le juge des libertés et de la détention qui contrôle la rétention, «y compris la régularité des décisions de placement qui relevait auparavant du juge administratif». Sa saisine est possible à l’expiration des premières 48 heures de la rétention et non plus au terme d’un délai de cinq jours. Ces adaptations de la procédure contentieuse «vont avoir pour effet d’accroître, sur le plan du nombre et de son champ, la saisine de ce magistrat du siège».
Le sénateur s’inquiète des conséquences sur l’activité judiciaire à Mayotte ou en Guyane, car selon lui, elles «n’ont pas été suffisamment évaluées en amont et auraient dû appeler à tout le moins un report de leur entrée en vigueur afin de s’assurer de l’adéquation du nombre de magistrats affectés localement avec l’exercice de ces nouvelles attributions.»
Pour finir, le sénateur souhaite que le report de la création d’un conseil des prud’hommes à Mayotte soit l’occasion de faire un bilan de la «normalisation» des juridictions mahoraises. S’il juge cette normalisation «souhaitable dans son principe», il souhaite que soit mieux prises en compte les «spécificités locales et donc (les) particularités judiciaires, admises par la jurisprudence».
RR
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