«La chimique est un véritable fléau sur l’île, mais je n’ai pas les armes pour condamner les personnes en détiennent». Cet aveu est celui de Philippe Léonardo, l’adjoint du procureur. Lors de l’audience du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou de ce mercredi matin, M. Léonardo s’est avoué impuissant devant le flou législatif entourant la drogue de synthèse communément appelée «chimique». Il a donc été contraint de proposer la relaxe pour les deux personnes accusées de détention qui comparaissaient ce matin-là. Le président Bouvart et ses assesseurs ont suivi ses réquisitions.
La première personne à être jugée pour détention de stupéfiants était Karim*, jeune homme de 20 ans, ressortissant comorien arrivé sur le territoire français à l’âge de 6 mois, mais toujours en situation irrégulière au moment de son interpellation. Un fait pour lequel il comparaissait également. La présence de 3,2 grammes d’un produit «non qualifié» dans ses poches a été découverte lors d’un banal contrôle routier, alors que Karim circulait en scooter. Le produit était une poudre blanche ressemblant, comme le fait remarquer le président, à du bicarbonate de soude. Il s’agissait en réalité de cette drogue de synthèse très dangereuse appelée «chimique». Le prévenu n’a fait aucune difficulté pour le reconnaître.
La chimique, source de violences
Ce n’était pas la première fois que Karim comparaissait pour ce chef d’accusation. Alors qu’il était encore mineur, il avait déjà été condamné plusieurs fois par le tribunal des enfants pour usage de stupéfiants.
Ce mercredi, il a reconnu consommer régulièrement de l’alcool, du cannabis et de la «chimique». Or le tribunal des enfants l’avait également jugé il y a quelques années pour d’autres faits: violences, vols et dégradation du bien d’autrui. «Un parcours classique de drogué», relève le président Bouvart en lisant son casier judiciaire. «Ces produits coûtent chers et incitent à voler le bien d’autrui pour se les procurer», note le magistrat.
Des réprimandes, mais pas de condamnations
La deuxième personne qui comparaissait ce mercredi pour détention de stupéfiants était Ali*, jeune homme de 31 ans natif de Mtsapéré. Découvert en possession d’un pochon contenant 6g de «chimique» lors d’un contrôle à Cavani, Ali reconnaît également très facilement les faits.
Mais pour lui, comme pour Karim, l’adjoint du procureur doit se rendre à l’évidence. Pour qu’il obtienne une condamnation, il faudrait des analyses des produits découverts plus poussées et prouver qu’ils appartiennent bien à la catégorie des stupéfiants. Or, cela n’a pas été le cas pour la poudre blanche découverte sur Karim et Ali.
Un flou législatif toujours d’actualité
Cela fait maintenant plus de 4 ans que la «chimique» a été introduite à Mayotte. Véritable fléau, elle génère une forte dépendance, des violences en tout genre et parfois de graves problèmes de santé. Pourtant, malgré ces faits avérés, ce produit n’est pas encore reconnu parmi les stupéfiants. La raison est très simple: Les chimistes créateurs de cette drogue en modifient la composition à l’envi. A chaque fois qu’une molécule est classée stupéfiant, ils en créent une autre, légèrement différente, qui ne l’est pas encore…
Pour pallier ce problème, le législateur avait pensé classer les différents produits issus de la drogue de synthèse non plus par molécules mais par familles de molécules. De même, afin de traquer les dealers de chimiques, la justice a parfois contourné le problème en les inculpant, non pas pour trafic de stupéfiants, mais pour trafic illégal de produits pharmaceutiques. Cela a été notamment le cas lors du démantèlement du grand réseau de chimique en février dernier à Cavani.
La réprimande pour seule condamnation
Toutefois, ces méthodes ne semblent pas être de mise pour les cas de simple détention. Pour les autorités, la logistique d’analyses pour déterminer la nature exacte du produit est bien trop coûteuse lorsqu’une faible dose de produit est saisie. Résultat: si les junkies passent bel et bien devant le tribunal, ils sont le plus souvent relaxés… comme Karim et Ali, ce mercredi.
Les prévenus ont tout de même été sévèrement réprimandés par le président qui leur a rappelé que, même si ces produits ne sont pas illégaux, ils restent très mauvais pour la santé et générateurs de comportements violents et antisociaux. La réprimande n’est probablement pas suffisante pour convaincre mais, dans ce cas, elle est le seul outil à la disposition des magistrats.
Nora Godeau
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* Les prénoms ont été modifiés
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