La réponse d’Ericka Bareigts au député Ibrahim Aboubacar qui interpellait ce mercredi l’Etat sur la pénurie d’eau à Mayotte, fut cinglante. Tout en invitant « les acteurs locaux compétents à se saisir des opportunités qui leur sont offertes », la ministre des Outre-mer relève que seulement un tiers des crédits d’études pour la 3ème retenue collinaire ont été consommés, et que 14 millions d’euros dédiés à l’adduction d’eau potable sont disponibles sur les fonds européens.
En matière de gestion de la ressource, le laxisme s’est superposé aux erreurs de choix politiques pour donner la situation que l’on connaît. On peut toujours pointer les responsabilités, la décentralisation de l’Etat vers des compétences inexistantes, et quand elles sont là, des élus restés sourds à leurs conseils, qui n’en font qu’à leur tête.
Ou des maires qui ont nommé des « délégués de complaisance » dans leur Syndicat Intercommunal de l’Eau et de l’Assainissement (Sieam), de l’aveu même de Saïd Omar Oili, un sport qui remonte à plusieurs années. Un conseil départemental qui n’a plus versé le moindre euro de sa quote-part depuis 6 ans sur les programmations du Sieam dans le Contrat de projet Etat-région, obligeant systématiquement le ministère des Outre-mer à abonder. On comprend le coup de sang d’Ericka Bareigts.
Les « pompes Morsy » en action grâce à 3,5M€ du MOM
Pendant ce temps, la population du centre, du sud, et bientôt du nord, puisque la retenue collinaire de Dzoumogne fond comme neige au soleil sous la pluie, attend des décisions en urgence. La ministre a évoqué le financement des raccordements des écoles, pour 500.000 euros, ce qui implique une organisation rapide des communes.
Que prévoit le Sieam dans l’immédiat ? Son directeur Michel Jousset, homme très occupé ces dernières semaines, nous livre en détail leurs interventions à venir.
La première urgence, c’est de relier les deux retenues collinaires de Combani et de Dzoumogne entre elles, puis à l’usine de traitement de l’Ouroveni, grâce aux « pompes Morsy », qui ont été gardées au frais bien que livrées à l’ancien préfet en janvier 2016, lors de l’épisode sécheresse. « Une opération qui doit mobiliser 3,5 millions d’euros, que le préfet Frédéric Veau vient d’obtenir lors d’un déplacement au ministère des Outre-mer, au titre de travaux d’urgence. » Le feu vert doit être donné le 1er avril, mais la convention avec le Sieam n’a pas encore été signée.
Pomper sur l’existant
La deuxième action vise l’équipement des forages existants : « Ils n’avaient pas été mis en service car moyennement productifs. » Il faut donc faire descendre les pompes au fond du puits, et raccorder le tout pour acheminer l’eau potable. « Le sous-sol de Mayotte est volcanique, donc pauvre en eau. Les puits s’épuisent rapidement. » Dembéni semble une zone plus riche en ressource, « nous y lançons une étude de faisabilité sur le traitement de surface de l’eau de rivière. »
La 3ème solution d’urgence, c’est l’optimisation de deux forages, ceux de Dapani et d’Acoua (la traduction d’’aqua’par ‘eau’ en espagnol n’est hélas pas valable en shimaoré, il ne faut donc pas en attendre de miracles…). « Nous allons les faire tourner 24h sur 24, et les redistribuer, après les travaux structurants indispensables, vers ces deux villages. »
Michel Jousset travaille en priorité sur ces 3 points, mais ne lâche pas les autres solutions : « Nous cherchons à augmenter la capacité de stockage de la retenue collinaire de Combani de 300.000m3 supplémentaires, ce qui correspond à un mois de consommation en plus. » Un gain d’un mètre en hauteur qui nécessite l’avis d’experts. « Nous dépassons un million d’euros de financement, que nous n’avons pas encore budgétisé. »
5 millions d’euros à trouver pour la 3ème retenue collinaire
La construction d’une 2ème usine de dessalement, de nombreuses fois évoquée par les maires, est également une priorité du Sieam. Elle ne l’a pas toujours été. L’actuelle produit 1.200m3 par jour uniquement redistribués sur Petite terre, pour couvrir une partie de la consommation. Le reste arrive par un pipe qui court au fond du lagon entre les deux îles. « L’étude de faisabilité est lancée pour l’établir dans le sud de l’île. »
Le gros dossier est celui de la 3ème retenue collinaire à Ourovéni, dont une partie du foncier vient d’être débloqué par la famille Bamana, mais où tout n’est pas bouclé : « Il reste à acheter les terrains de compensation, un foncier de 42 ha qui se monte à 5 millions d’euros, dont le financement n’est pas encore monté. Le complément de 11ha appartenant au conseil départemental devrait être cédé pour un euro symbolique. »
Le préfet a demandé à son SGAR de piloter le dossier. Le choix d’un partenariat public-privé a été confirmé par le dernier conseil syndical, « l’investissement total, foncier y compris, est de 32 millions d’euros. »
Les techniciens du Sieam se muent en ce moment en sourciers. Sans baguette toutefois, mais avec l’aide des relevés du BRGM (Bureau de Recherche Géologique et Minière). « Des sondages électriques qui ne peuvent se faire en saison des pluies, les ondes étant perturbées par l’eau qui s’infiltre. » Une nouvelle campagne est prévue en juin.
L’année 2017 sera donc vitale pour l’île, surtout par la détermination du Sieam à poursuivre les programmations, qui ne doit pas faiblir avec l’arrivée de la 1ère mousson, « nous devrons avoir trouvé les financements pour la fin du mois de mars, lors de la budgétisation de l’année à venir. »
Anne Perzo-Lafond
La Journal de Mayotte
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