De notre envoyé spécial à Paris. Entre Mayotte et La Réunion, les temps ont changé. Fini le moment où notre voisin prétendait représenter seul l’océan Indien. Le moment est venu de partager le fauteuil, dans une compétition durable avec Mayotte, qui sera parfois féroce lorsque des intérêts importants seront en jeu, parfois plus douce comme ce fut le cas hier jeudi au Sénat. Le Palais du Luxembourg à Paris accueillait une «conférence économique» organisée par les CCI des deux îles et la délégation sénatoriale à l’Outre-mer.
Il y avait là du beau monde, venu donner une meilleure visibilité à l’économie de chacun des deux départements, comme les territoires français des Caraïbes ou du Pacifique avaient déjà eu l’occasion de le faire. Chacun a donc mis en avant ses qualités et ses atouts, ses limites et les freins auxquels il est confronté pour tenter de faire passer des messages. «Nous avons voulu donner la parole aux acteurs locaux pour faire connaître des territoires trop souvent affublés de clichés», expliquait Michel Magras, le président de la délégation sénatoriale Outre-mer.
350 personnes ont participé à 4 tables rondes avec des représentants à parité de Mayotte et La Réunion, après le mot d’ouverture de Gérard Larcher en personne.
«Mayotte, je leur dois une visite», attaquait d’emblée le président du Sénat dont l’attachement sincère à l’Outre-mer n’a cessé d’être vanté tout au long de la journée, avec une place particulière pour Mayotte: «J’ai présidé la séance qui les a vu devenir département de France», a-t-il rappelé.
Le thème de la sécurité plane sur la journée
Au petit jeu de la compétition, évidemment La Réunion sort du lot même si de très nombreux indicateurs économiques sont très loin d’être flatteurs, comme le chômage, la balance commerciale, ou le niveau des productions locales… Le sénateur Thani Mahomed Soilihi rappelait que Mayotte va fêter le 6e anniversaire de sa départementalisation, alors que La Réunion en est pourtant à 71 ans. Mayotte est depuis 2 ans une région européenne (RUP) quand La Réunion l’est depuis 25 ans.
Notre île a présenté des visages et des parcours très hétérogènes tout au long de la journée, à l’image de notre monde économique. Ersi Volonaki, PDG de la Sodifram, a raconté la formidable réussite d’une entreprise fondée il y a 25 ans et qui emploie aujourd’hui 600 personnes… dont 120 agents de sécurité. La problématique sécuritaire s’est logiquement invitée dans les débats.
Production locale et SAFER
La présidente de la Sodifram a expliqué importer 6.000 tonnes de mabawas chaque année à Mayotte, une façon de prouver les limites de l’idée qui voudrait que l’on peut tout produire localement. Pour obtenir ce volume d’ailes de poulets, il faudrait gérer 97.000 tonnes de carcasses de volailles…
Mais sans aller jusque-là, la distribution a tout de même un rôle à jouer, rétorquait Elhad-Dine Harouna. Le président des jeunes agriculteurs de Mayotte expliquait en effet que le groupe de distribution n’achète que 180 poulets/jour quand Mayotte peut en fournir 300.
Il rappelait la difficulté pour les jeunes qui veulent vivre du travail de la terre à s’installer. Alors que l’objectif à atteindre est de 40 nouveaux jeunes agriculteurs d’ici 2020, aucune installation n’a eu lieu ces deux dernières années. Il propose la mise en place d’une SAFER à Mayotte pour avancer sur les questions du foncier.
Micro-crédit: Augmenter le plafond
Du côté des autres activités économiques, les choses bougent plus vite. L’Adie, championne du micro-crédit est venue en témoigner. Le sénateur Thani propose d’ailleurs d’augmenter le plafond des micro-crédits, actuellement fixé à 10.000 euros.
Créer de très petites entreprises, c’est bien… Le problème est que le tissu économique mahorais est composé à 95% de TPE. «Mais des TPE qui deviennent des PME, je n’en connais pas», relevait Farda Mari, cofondatrice de «Créa-pépites» qui accompagne les jeunes Mahorais de retour de métropole pour monter leur boite.
Ce sentiment est confirmé par Maymounati Ahamadi de la BGE Mayotte mais elle a tout de même trouvé l’exemple du passage au stade supérieur : Map et ses camions d’assainissement roses. La société compte aujourd’hui 75 salariés. «Le rêve mahorais est possible, il faut nous donner les moyens d’y arriver !» a plaidé la directrice de la BGE.
D’amour et d’eau fraîche
Si le président Larcher soulignait l’atout formidable que peut représenter la jeunesse de Mayotte «à condition qu’elle soit bien formée», Nathalie Costantini, la vice-recteur, appelait de ses vœux la création d’un CREFOP (comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle). L’outil permettrait de «savoir ce qui est bon de faire et pouvoir agir sur le court terme comme sur le long terme». Tenir le présent et savoir anticiper sera une des clés de la réussite de l’éducation à Mayotte. Car il faut former pour le territoire mais pas seulement : notre département ne pourra jamais donner du travail à 3.000 bacheliers chaque année. Il faut qu’ils puissent partir conquérir leur vie et le monde.
«La République a un devoir envers Mayotte», rappelait Jean-Pierre Philibert, le président de la FEDOM. «Si on peut dire ici, au Sénat, que la République aime Mayotte, on aura déjà été utile». C’est vrai que Mayotte a besoin d’amour, de reconnaissance et de certitudes. Et cette journée durant laquelle elle a été écoutée à l’égale de La Réunion était importante. Mais vivre d’amour n’est pas suffisant, surtout quand l’eau fraîche vient à manquer.
RR
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