Les renvois se sont donc enchaînés. A l’exemple d’une affaire d’atteinte sexuelle, « nous avons oublié de convoquer la jeune fille », souligne le président d’audience, qui est devenue majeure depuis les faits, la présence de Tama comme administrateur ad hoc est donc inutile. A l’image encore, d’une affaire de corruption de mineurs de moins de 15 ans, qui n’a pu être prise, en raison d’une absence d’expertise, « il y quand même des questions à se poser sur ces suivis médicaux déficients dont on attend pourtant un complément d’information », maugréait le juge.
De discussion en renvois, la première affaire était jugée à 9h45. Et elle n’était pas des plus claires contrairement aux apparences. Fait habituel à Mayotte, S.M. était accusée d’avoir fait travailler sur un chantier des ouvriers non déclarés, dont un était en situation irrégulière. Mais tous ne sont pas concernés par un chef d’accusation qu’il faudrait reciter dans son ensemble. La substitut du procureur Laurence Prampart souhaite un renvoi, qu’elle n’obtiendra pas, « cela fait plus de deux ans que l’affaire est renvoyée ! », s’agace Philippe Ballu.
Fundi et sur-fundi
Celle qui est directrice d’école primaire veut être jugée, elle comparaît donc volontairement. Elle évoque ce chantier lancé en novembre 2014 à Mtsangamouji, et qu’elle ne peut gérer, « j’ai donc délégué à mon mari, entrepreneur du BTP. » Mais lors d’un contrôle, la Direction du travail (Dieccte) constate une absence de déclaration d’embauche préalable. Interrogés, les 6 ouvriers déclarent qu’on leur a indiqué qu’ils se partageraient 12.000 euros au total. Ils ont déjà reçu 7.000 euros. « Avec ces méthodes, vous économisez 19.000 euros », raille le juge.
Mais finalement, la Dieccte constate que 3 déclarations d’embauche ont bien été délivrées par Univers Construction, l’entreprise de Bâtiment de son mari. La difficulté pour la collégialité de juges sera de prouver que S.M. gérait bien le chantier, et non son mari : « Vous avez vous-même payé des primes Ramadan ! », mais elle explique que son mari était à cette époque en voyage d’affaires.
Les quatre ouvriers sont à la barre, ils se constituent partie civile, c’est à dire qu’ils peuvent demander réparation en raison d’un préjudice subi. Le premier demandera 1.000 euros, le second 1.500 euros, estimant qu’il est foundi (conseiller) dans l’histoire, et, tant qu’à faire, les 2 autres lui emboiteront le pas, « vous avez donc tous le niveau de qualification ‘fundi’ », ironise Philippe Ballu.
Non déclaré « pour raisons personnelles »
Sauf qu’en creusant un peu, il s’aperçoit que l’un d’entre eux travaille déjà à la Colas, et qu’il délègue à deux autres pendant la semaine. L’un d’entre eux n’a jamais voulu être déclaré, il avance « des raisons personnelles », qu’il refuse de détailler à la barre, malgré les demandes des juges.
Si l’instigatrice du chantier est bien S.M., il va falloir préciser la part de responsabilité de son mari, et celle de celui qui apparaît comme un contremaître qui a lui-même contacté les ouvriers. Les 4 hommes s’agitent sur le banc, contestent leur déclaration enregistrée pourtant par un gendarme mahorais, qui a mené l’interrogatoire dans leur langue, sentent que le vent ne tourne pas en leur faveur : « Nous voulons un avocat ! Nous voulons que le procès soit renvoyé ! », finissent-ils par dire alors qu’une bonne heure s’est déjà écoulée.
« Bruits de gravier »
Le juge les rassure, « vous ne risquez pas d’être condamnés. Si vous avez peur pour vos droits, vous pouvez réclamer au tribunal du travail. »
Le parquet ne s’exprimera pas, « je m’en remets au tribunal, la prévenue ayant souhaité comparaître volontairement. »
Pour la directrice d’école, la Direction du travail n’est pas passée par hasard sur le chantier : « L’un d’entre eux était mécontent que mon mari l’ait chassé alors que ses camarades continuaient à y travailler. C’est lui qui a contacté la Dieccte. » Elle est relayée par son avocat : « L’inspectrice du travail a indiqué qu’elle avait entendu des bruits de gravier. Nous en doutons. »
Me Rahmani va plaider la relaxe en se basant sur l’absence de lien de subordination entre sa cliente et les ouvriers, « qui ont été déclarés. »
Le tribunal l’entendra en relaxant S.M. de toute poursuite.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte
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