Selon les représentants de la pêche locale, c’est sous l’influence de lobbys ou pour des raisons plus personnelles, que le ministère des transports en charge de la pêche a lâché les Outremers au Conseil européen. Les pêcheurs mahorais, très remontés, prévoient des actions.
Ce ne sont pas des gros bras. Quelques coups de gueules, mais toujours prompts à négocier, les représentants de la section pêche de la Chambre d’Agriculture, de la Pêche et de l’Aquaculture de Mayotte (CAPAM). Mais c’est une colère froide qui les anime depuis quelques jours. Ils viennent d’apprendre par la bouche du député européen Younous Omarjee qui défendait le dossier, que les dérogations demandées auprès des instances européennes, ont été refusées.
Il s’agissait que la libre circulation des grosses unités de thoniers senneurs français et espagnols soit réglementée autour du lagon de Mayotte ainsi que le quotas des poissons pêchés. Or, un règlement du Conseil européen du 17 décembre 2013 scelle ce qui ressemble à une injustice : la zone de pêche des 100 miles (185 km) autour de Mayotte sera libre d’accès, notamment aux thoniers senneurs français et espagnols, le Parc Naturel Marin de Mayotte n’est pas reconnu par ce règlement, les dispositifs de pêches (DCP) dérivants y seront autorisés, pas d’application de la règle de l’antériorité, pourtant légale, qui implique que seul les navires ayant pêché 40 jours par an d’affilés dans la zone et pendant deux ans avaient l’autorisation de pêche.
Sur le premier point, les plus gros des bateaux de pêche mahorais n’étant pas homologués pour aller au delà des 24 miles, et l’achat de palangriers neufs n’étant plus financé par une Union européenne qui s’inscrit théoriquement dans une politique de préservation de la ressource, donc de restriction de la flotte, c’est un boulevard qui s’ouvre pour les thoniers. De plus, étant dans leur majorité sous armement européen, ils n’auront plus à payer de licence, dont les 400.000 euros reversés à la filière pêche locale servaient de compensation au prélèvement de la ressource. «Et les versements des bateaux non européens nous reviendront par une compensation du fonds FEAMP, seulement en 2015».
Le rejet d’un thonier nourrirait une famille pendant un an
On pourrait rétorquer que, les pêcheurs mahorais n’allant pas dans la zone des 100 miles, la place est logiquement libre. Mais les DCP dérivants y sont désormais autorisés, «ce sont les plus gros prédateurs de juvéniles, les jeunes thons s’y réfugient et sont ensuite happés par la senne (filet) qui les écrase. Ils sont ensuite rejetés à la mer». Un gaspillage de la ressource critiqué par Régis Masséaux, «ces poissons pêchés à l’extérieur venaient dans notre zone côtière : le rejet de pêche d’un thonier correspond à une année de pêche d’un pêcheur mahorais». Et à Mayotte, on parle de nourrir des familles, pas de business…
Une réflexion qui étonne Pierre Baubet, Copemay : «l’Europe qui est favorable aux dérogations sur ce secteur, l’Europe qui vante la préservation de l’environnement laisserait un tel gaspillage de ressource sans ciller !» Et il avance une autre explication, celle de «lobbys de thoniers espagnols et français qui ont su faire plier le ministre Cuvillier qui ne nous a pas défendu à Bruxelles». Un lobby qui avait été dénoncé dans le reportage «La guerre du thon» de l’émission « Strip tease » diffusé en juillet 2007.
Autre aberration que dénoncent les pêcheurs : le Parc Naturel Marin, qui couvre la Zone économique exclusive (ZEE) des 100 miles, ne les protège en rien, «comment le même ministère peut-il financer les Aires marines et la destruction de la pêche ?» s’étonne Pierre Baubet, très amer. Un Parc qu’ils menacent de quitter.
Deux poids deux mesures pour une même norme
Pendant que Mayotte s’applique à mettre en place les normes européennes sur les barques et la formation des pêcheurs, «les thoniers qui viennent pêcher dans nos eaux vont conditionner leur poisson dans des zones hors CEE !» dénonce Dominique Marot. Et les capacités techniques de transformation ont été doublées à Maurice notamment, «qu’il faut rentabiliser par davantage de prises !» Et de fait, «en dix ans, la flotte de thoniers a été multipliée par 3. Certains armements viennent d’acheter de nouvelles unités de pêche, dont la SAPMER (2 de plus) et une compagnie boulonnaise», Boulogne-sur-mer où le ministre des transports en charge de la pêche, Frédéric Cuvillier, est candidat aux élections municipales.
C’est le choc prévu par le député Serge Letchimy qui se produit : une incompatibilité entre une pêche locale encore artisanale, 1.200 embarcations et 250 bateaux, et à laquelle l’Union Européenne demande de se mettre aux normes, et des techniques de pêche industrielle en eau profonde qu’il faut limiter.
Un recours a bien été déposé auprès du Parlement, «pour un jugement qui prendra des années !» commente Pierre Baubet qui annonce avec ses partenaires des actions musclées. «Nous allons contacter Greenpeace et utiliser notre devoir de désobéissance à l’image du syndicat des petits métiers du Languedoc Roussillon». Il est donc fort probable que l’on trouve de nouveau des pêcheurs sur le banc de la Zélée, «et que le Sirocco ne vienne pas brûler nos matériels de sécurité !» annonce Régis Masséaux.
Ce règlement européen pénalise également les autres Régions européennes ultrapériphériques (RUP) françaises, “car les portugaises et espagnoles sont protégées !»
Les représentants des pêcheurs sont fermes : «à la moindre interpellation de l’un des nôtres désormais, nous agirons fermement».
Anne Perzo-Lafond
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