Dans les couloirs du conseil départemental, certains râlent, « ce n’est pas au Département d’organiser une conférence sur l’islam. C’est religieux. Est ce qu’on le ferait pour le judaïsme ?! Il y aurait mieux à faire avec les 50.000 euros que ça va coûter ! » Les élus avaient délibéré pour sa tenue le 24 avril 2017.
Pour Soibahadine Ibrahim Ramadani, au contraire, il s’agit de « reconstituer le ciment social » : «L’islam est la religion majoritaire à Mayotte. Or, les difficultés que nous traversons nous incitent à réfléchir : actes d’incivilité, violence, délinquance, autant de maux qui invitent à interroger l’islam, consubstantiel à la culture mahoraise. »
Une conférence sur l’islam que le président du conseil départemental replace dans un contexte mondial agité : « Nous devons marteler 3 distinctions. D’abord, l’islam de Mayotte n’a rien à voir avec l’Etat Islamique, Daesh, Boko Haram ou Al-Qaïda. Ensuite, notre islam sunnite, suit des rites chaféites, qui s’enrichit de soufisme, comme le montrent nos fêtes de fin de semaine Dahira Chadhouli, etc. Enfin, nous avons besoin d’un outil de lutte contre la délinquance et les incivilités pour viser la cohésion sociale. »
Traduction du Coran en outil de cohésion sociale
A travers cette conférence, le président du Département vise donc une professionnalisation des cadis : « Ils ont besoin d’être appuyés dans leur travail de médiation sociale, tout comme les maîtres coraniques ou les professeurs des madrassas. » A partir des actes rédigés à l’issue du colloque, des groupes de travail seront constitués avec tous ces intervenants, « pour mettre en place des outils pédagogiques et scientifiques. Les cadis seront ainsi mieux armés pour assurer leur rôle de médiation. »`
Il s’agit aussi d’accompagner financièrement et intellectuellement la création des édifices d’enseignement pour la formation de ces acteurs.
Et pour Bajrafil Mohamed-Soyir, il s’agit aussi de ne pas dépendre d’avis juridique arrivant en droite ligne d’Arabie Saoudite, “nous devons emmagasiner des connaissances. Il est écrit ‘Celui qui rend des avis juridiques sur la base de ce qui est rendu dans les livres, est un criminel’, dans le sens où il n’a pas tenu compte de la société à qui il est destiné”.
La conférence s’étale sur 2 jours. Ce samedi de 8h à 16h, la 1ère table ronde se tiendra au SMIAM (face à la mairie de Mamoudzou) et portera sur « La singularité de l’islam de Mayotte », avec 3 sous-thèmes : « L’islam et sa pratique à Mayotte, qu’est ce qui pose problème ? », « L’islam et le soufisme comme outil de cohésion sociale : dahira, moulidi, shengué, débaa », et « Le rôle des cadis dans la société mahoraise, hier et aujourd’hui ».
« Les limites de l’enseignement traditionnel de l’islam »
La 2ème se tiendra à la mairie de Mamoudzou, et portera sur « La place de l’islam dans la République et à Mayotte », avec 2 sous-thèmes, « Quels financements pour les lieux de culte et d’enseignements (madrasa et mosquées) à Mayotte ?, et « Fait religieux et laïcité à Mayotte : contexte historique et social).
Enfin la 3ème se tiendra dans l’hémicycle Younoussa Bamana du conseil départemental, et portera sur « L’éducation : transmission du savoir, l’école coranique », avec 3 sous-thèmes, « L’enseignement des valeurs de l’islam comme alternative à la lutte contre la délinquance », « L’islam en tant que civilisation et son enseignement à Mayotte : les limites de l’enseignement traditionnel », « Les responsabilités éducatives devant les enjeux actuels ».
Les 3 ateliers sont présidés respectivement par Issa Issa Abdou, 4ème VP du Département, pour le 1er, par Allaoui Askandari, cadre au CD, pour le 2ème, et Anchya Bamana, maire de Sada, pour le 3ème.
Les grands conférenciers entrent en piste
Dimanche, 3 thèmes seront développés au cours d’une conférence donnée dans la salle de cinéma Alpa Joe par les 4 conférenciers invités. « L’islam dans l’archipel des Comores et les défis de la mondialisation », par le docteur Bajrafil Mohamed-Soyir, « L’adaptation de la fatwa », par Larbi Becheri, et « L’imam Al-Gazhali parle aux candidats au martyr », par le docteur Adrien Lietes, et une synthèse du Docteur Ahmed Jaballah.
Qui sont-ils ? Il s’agit du docteur Bajrafil Mohamed-Soyir, docteur en Linguistique de l’Université Paris 7, Chercheur Associé au Laboratoire de Linguistique Formelle (Université Paris 7 et CNRS), imam, Secrétaire Général du Conseil Théologique Musulman de France, spécialiste de fiqh shafiite et Usul.
De Larbi Becheri, Docteur en islamologie de l’Université Aix-Marseille, Doyen de l’IESH de Château Chinon, spécialiste de fiqh et Usul al-fiqh et Membre du Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche, de l’Union Internationale des savants musulmans.
De Adrien Liettes, Maître de conférences à l’Université de la Sorbonne, islamologue, spécialiste de la pensée islamique (notamment l’imam al-Ghazali).
Et de Ahmed Jaballah, Doyen de l’IESH, Paris, Président du Conseil Théologique Musulman de France, Secrétaire Général Adjoint du Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche, expert auprès du Conseil Juridique Islamique de Djeddah et docteur en droit canon coranique de la Sorbonne, diplômé de l’Université Zaytouna (en Tunisie) et imam.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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