Pour ce dernier samedi du Muma de l’année, les deux conservatrices proposaient au public de suivre le parcours d’un objet, d’entrer dans les coulisses du musée. Une idée qui leur est venue, mi- lassées, mi- amusées de répondre à la même question : « Mais vous faites quoi aux Archives ou au musée toute la journée ?! »
Mais pourquoi cette fièvre d’acquisition des vieux objets ? Avant tout pour les sauver de la mort ou de la dégradation, « une préservation du patrimoine, par intérêt scientifique, culturel ou autre, ou parce qu’il est en péril ». Pauline Gendry donne l’exemple d’un Minbar de 1975 (une chaire de mosquée musulmane) en bois sculpté, mis sur le côté à Kawéni « parce que des jeunes ont préféré en construire un autre en béton », et qui présente un fort risque de dégradation avec l’arrivée de la saison des pluies.
Les acquisitions peuvent aussi servir à compléter une collection, « des accessoires par exemple pour notre exposition sur les vêtements masculins », ou à valoriser le patrimoine local en mettant en valeur les savoir-faire locaux, comme c’est le cas avec la préservation de l’outillage d’un bijoutier à Sada.
Spécificité de ce métier, une collection est acquise à vie, inaliénable et imprescriptible, « on ne pourra jamais s’en séparer », avec en contrepartie, la garantie d’une bonne condition de stockage. Le choix du Chef de mission et du comité scientifique doit donc être judicieux, avec à l’esprit la capacité de stockage des objets, « nous en avons 2.000, et presque plus de place pour les mettre ». Pas sûr donc que toutes les propositions de dons de la part de particuliers, soient acceptées !
Don contraint d’un Matisse
Les musées peuvent aussi acheter des objets à préserver, ou les recevoir par donation (un don devant notaire), par legs, « certains érudits cèdent leurs bibliothèques par exemple », ou par dation, une contrepartie en nature si vous ne pouvez pas payer à l’administration vos impôts ou vos droits de succession… Vous pourrez ainsi céder à contrecœur votre Matisse ou un de vos Picasso.
Toute la collection du défunt bijoutier Tamimou Dahalani à Sada a été donnée, dont son outillage et ses machines, acheté à un fournisseur indien, les enfants ayant respecté la volonté de leur père de ne jamais les vendre. Dans ce cas, comme pour chaque acquisition, un « dossier d’œuvre » doit être renseigné, comprenant notamment l’historique de l’œuvre, son analyse scientifique, etc. Très chronophage pour nos conservatrices dont on commence à cerner l’emploi du temps.
Il faut maintenant inventorier l’objet, c’est à dire s’astreindre à remplir les 18 colonnes du Registre d’inventaire, nom du donateur, sa matière, son origine géographique, etc., après lui avoir octroyé un numéro unique, le 2017.1.1 signifiant qu’il s’agit du 1er objet de la 1ère collection de l’année en cours. Il sera apposé à l’encre de Chine même sur les plus petites pièces, après passage d’une couche de vernis.
Prêts à l’Institut du Monde arabe
Un exercice administratif dont l’intérêt n’a pas pu échapper au public présent ce samedi matin au MuMa, puisqu’il devait s’attacher à le pratiquer sur un objet en en trouvant l’utilité. Une jarre à eau chaude, plus qu’ébréchée puisqu’amputée de son col, destinée à la toilette, Mtsoungi en shimaoré, et Sadzoua en shiboushi, faite d’argile en terre cuite et céramique.
S’il le faut vraiment, l’objet sera restauré, mais en l’absence de métier dédié à Mayotte, les envois couteux vers la métropole seront limités aux cas d’urgence.
Dernières phases, l’objet partira rejoindre les boites de la réserve, en attendant d’en être exhumé pour vivre une nouvelle vie lors d’une exposition qui le mettra en valeur, « on peut mettre en place une scénographie, comme pour les vêtements de l’art au masculin ».
Et l’apothéose, c’est de se balader d’expo en expo : « Ce fut le cas pour les perles d’Acoua qui ont été prêtées pour la collection ‘Aventuriers des mers’ de mise en valeur des échanges commerciaux dans l’océan Indien au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée de Marseille, le MUCEM, ou de l’exposition sur le Debah, pour la collection ‘Trésors de l’Islam en Afrique’ à l’Institut du Monde Arabe.
La nuit, Pauline Gendry et Mary-Noelle Bessier ne se baladent pas dans les couloirs du musée à rencontrer les navigateurs arabes, elles ont toutes leurs journées pour ça…
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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