A l’antenne mahoraise du Conservatoire national botanique de Mascarin à Coconi, pas moins de 4500 espèces végétales sont recensées et stockées dans un herbier climatisé. Ce n’est qu’une petite partie du travail effectué en 10 ans par cet organisme, qui possède des échantillons de 30 espèces encore non identifiées. Nous avons rencontré Nicolas Valy, responsable de l’antenne de Mayotte.
JDM : Vous avez fêté samedi vos 10 ans, quel bilan peut-on tirer de cette décennie de recherches botaniques à Mayotte ?
Nicolas Valy : D’abord, il faut rappeler qu’il y a onze conservatoires botaniques nationaux en France, dont 10 en métropole et un seul dans les DOM. Celui de Mascarin a trois territoires d’agrément : la Réunion depuis 30 ans, et Mayotte et les Îles Eparses depuis 2007. Au départ, il y avait quelques prospections à Mayotte depuis la Réunion avec des botanistes de la DAAF. En 1992, un premier herbier a été constitué. Il a été restitué à Mayotte en 2008. En 10 ans, nous sommes passés de 1 à 10 salariés, de zéro à trois serres, et nous avons de nouveaux outils qui ont été développés, comme l’Index, un tableur Excell mis à jour en permanence avec toutes les infos sur la flore mahoraise. Du chemin a été fait. Aujourd’hui par exemple, je suis en mesure de dire qu’il y a à Mayotte 708 espèces indigènes recensées, c’est à dire qui n’ont pas été introduites par l’homme, dont 48 espèces sont strictement endémiques de Mayotte. Elles n’existent donc nulle part ailleurs au monde. Parmi elles, 6 n’existent que sur le Mont Choungui.
Parmi les outils, nous avons développé une base de donnée d’informations géographiques qui rassemble 1050 espèces localisées sur une carte. Le projet de réserve naturelle des Crêtes est en partie basé sur cet outils puisque la plupart des espèces recensées sont en forêt. On note aussi que 43% des espèces endémiques sont menacées, dont 36 en danger critique.
Quelles sont ces menaces ?
La première menace, c’est la déforestation. La plus importante période de déforestation, ça a été lors des campagnes de plantation de canne à sucre notamment. Aujourd’hui, la végétation naturelle ne représente plus que 5% de la surface de l’île. Presque la moitié dans la mangrove, et le reste pour la forêt terrestre.
Le second danger, ce sont les plantes exotiques envahissantes, donc importées par l’homme. On a 499 espèces exotiques recensées dont 20% sont jugées très invasives.
Au delà de l’intérêt scientifique, quel est intérêt de la préservation des espèces indigènes pour la population ?
Il faut voir les choses comme un tout. Pour avoir des fruits et des plantes comestibles, il faut des insectes pollinisateurs. Pour avoir des pollinisateurs, il faut des forêts naturelles. Ce n’est pas dans les champs de bananes qu’on trouve des nids d’abeilles etc. Or, tous les milieux naturels sont grignotés par les chombos. Ces milieux sont ceux qui hébergent les pollinisateurs qui assurent la reproduction du concombre, de la tomate ou de la mangue. Et je ne parle là que de l’aspect agronomique. Si on détruit ces cortèges d’habitats naturels, ça impacte aussi la ressource en eau. De plus les zones privées de forêt sont soumises à l’érosion de la terre, qui va dans le lagon où se reproduisent les poissons qui alimentent la pêche. La déforestation fait donc baisser la production agricole, la ressource halieutique et la ressource en eau. Cela entraîne des problèmes en cascade. On a je pense une responsabilité vis à vis d’un patrimoine naturel. Si une espèce disparaît, c’est une perte pour toute l’humanité.
Quels sont les projets du Conservatoire pour les années à venir ?
On va déjà faire du lobbying pour se faire connaître. Un de vos concurrents avait titré sur les 10 ans du conservatoire du littoral, avant de corriger, c’est révélateur. On va ensuite travailler sur les espèces encore non identifiées, dont sans doute des espèces endémiques très rares. L’approfondissement de nos connaissances est un travail encore très vaste. On va aussi mettre l’accent sur la conservation dans nos collections des espèces. Si en 2018 on obtient un volontaire en service civique, chaque planche de l’herbier sera photographiée pour être rendue disponible sur Internet. En outre, trois étudiants de licence au CUFR travaillent sur la problématique de la réimplantation du Namoulhona (un arbre récemment identifié et qui n’existe que sur la plage de M’Tsamoudou). Cela va peut-être faire l’objet de masters voire de thèses.
On a également défini une stratégie de lutte contre les espèces invasives avec différents axes : prévention auprès des collectivités, définir des zones prioritaires de lutte contre ces espèces et communication auprès de la population sur ces questions-là. Il y a un gros boulot.
Parmi les projets en cours, outre un partenariat avec les Comores, il y a aussi le projet DAUPI, pour démarche d’aménagement urbain avec des plantes indigènes. Il s’agit d’aménager les rues, ronds-points etc. avec des plantes indigènes. La mairie de Mamoudzou a déjà passé commande pour 15 000 plants. L’idée est de développer une filière de production de plantes indigènes avec des pépiniéristes, on a soumis le projet au fonds européen FEDER, c’est un vaste projet.
Propos recueillis par Y.D.
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