Revenons-en au début. Tout commence samedi lors d’un banal contrôle routier mené par la police aux frontières (PAF). Les fonctionnaires observent une clio blanche à Miréréni qui se gare et fait descendre trois passagers. Les policiers signifient au conducteur leur intention de le contrôler, mais celui-ci prend la fuite. Les agents émettent alors un appel radio et prennent le fuyard en chasse en direction de Combani.
Là, en face du magasin Somaco, leurs collègues sont stationnés de part et d’autre de la route. Sur le bas-côté, un utilitaire de la police est déjà bien rempli, avec une dizaine de clandestins interpellés à son bord.
En voyant la clio blanche qui venait de leur être signalée, le premier policier, le plus haut gradé, situé sur la voie de circulation de la clio, donc à droite de la route, lui fait signe de se garer. Mais la Clio, suivie de près par l’autre équipage de la PAF, ne ralentit pas et poursuit sa route vers le policier. “A juste titre il s’est senti en danger” explique le procureur après audition des intéressés. L’agent sort son arme de service et tire un coup de feu en direction de la voiture, atteignant la plaque d’immatriculation.
Dans la foulée, son collègue situé de l’autre côté de la route dégaine à son tour et tire à quatre reprises. “Un ou deux projectiles” touchent l’avant du véhicule selon le procureur Camille Miansoni qui s’en remet là aux investigations de la brigade de recherche et de la section d’investigation criminelle de la gendarmerie. Une balle pénètre dans l’habitacle, traverse le volant et frôle le chauffeur, et un quatrième traverse le pare-choc arrière.
La course poursuite se termine sur la propriété d’un militaire du BSMA qui voyant le fuyard s’encastrer dans son terrain, intervient et aide les policiers à l’interpeller. Les gendarmes amènent alors l’individu à la brigade de Sada.
Jusque là, pas de divergence.
Mais cet état des lieux pose plusieurs questions.
Sur l’usage des armes d’abord. Si le premier policier pouvait décemment se sentir menacé et tirer, qu’en est-il de son collègue ? “Je ne sais pas si le policier de gauche se trouvait dans les mêmes conditions de légitime défense” s’interroge le procureur. Toutefois, ce dernier précise que si le premier était bien menacé, alors la légitime défense s’appliquait aussi à son collègue, qui avait le droit de défendre son supérieur.
Ses quatre coups de feu interpellent quand même. Sachant que le véhicule visé était suivi de près ” à cinq à dix mètres” par d’autres policiers, ces tirs ne mettaient-ils pas en danger les autres collègues ? Vu l’écart entre les deux voitures “on a eu de la chance” commente M. Miansoni.
Enfin, l’enquête devra déterminer comment un projectile s’est logé dans le pare-choc arrière. S’agit-il d’un effet du tir croisé des deux policiers, ou le second a-t-il ouvert le feu alors que la voiture fuyait et ne représentait plus une menace immédiate ?
Dans ce cas, une nouvelle disposition de droit viendrait quand même dans le sens de l’agent. “Les conditions d’utilisation des armes ont été alignées sur celles des gendarmes” explique le procureur. Avant les attentats et les lois sécuritaires qui ont suivi, seuls les militaires étaient autorisés à tirer sur un suspect en fuite. S’il représente un danger manifeste, les policiers peuvent désormais avoir recours à la force également et tirer entre guillemets “dans le dos”. Le procureur n’en reste pas moins “attentif à la situation des policiers qui ont une mission difficile, mais l’usage des armes est particulier et il faudra y regarder de plus près.”
Aucune mesure judiciaire ne vise les agents qui ont tiré.
Envoyé au CRA
Si ces questions font comme tout usage d’arme à feu l’objet d’investigations, il reste la polémique déclenchée par le syndicat Alliance. Ce dernier jugeait dimanche “inacceptable” la décision du parquet de “libérer l’individu” qui avait foncé sur les policiers. “On ne l’a pas laissé filer, il est au CRA” se défend le procureur qui dit comprendre “l’émoi à la vue du tract” d’Alliance. Ce qui s’est passé, toujours selon le procureur, c’est qu’étant informé par la gendarmerie des premiers éléments d’enquête sur place, il a demandé “pas de garde à vue” pour les policiers.
Une instruction qui a fait l’objet d’une “confusion” entre gendarmes qui n’ont pas non plus placé en garde à vue le chauffard qui a donc été entendu librement. Quatre heures plus tard, il était trop tard pour décréter une mesure de garde à vue. Il a donc été décidé de le convoquer en justice et de déclencher les mesures administratives liées à son absence de papiers. Il a donc été conduit au Centre de Rétention administrative en vue d’une reconduite à la frontière. Il devrait donc être jugé pour avoir foncé sur les policiers, mais en son absence.
Yohann DELEU
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