« En arrivant à Mayotte, j’ai vu un bâtiment tout neuf, très éclairé, je me suis dit, enfin un bel hôtel. On m’a répondu, non, ça, c’est la prison ! », lance l’humoriste Gohou dans un de ses sketchs. Ça, c’est la vision du bâtiment, depuis l’extérieur. Et même après l’avoir visité, on reste de l’extérieur.
Eux, ils savent pourquoi ils parlent de l’intérieur, et ça, on ne peut pas le leur prendre : « Je sais que plein d’individus m’ont sans aucune doute surclassé dans les archives des disparus », c’est l’extrait d’un texte intitulé « Des années d’incertitude » de l’exposition de photos illustrées, « Les murmures de la pénombre ».
Il s’agissait au départ d’un projet thérapeutique porté par le Centre Hospitalier de Mayotte. « Nous avons demandé aux prévenus comment ils pouvaient témoigner sur l’incarcération et sur la privation de liberté à partir de photo. Les textes sont venus ensuite », explique Emeline Hussard qui a monté le projet avec son collègue Michel Foret, fruit d’un collaboration entre le CHM, l’administration pénitentiaire, le Service d’Insertion et de Probation (SPIP) et le vice-rectorat. Car peu à peu, un groupe de travail de 8 « prévenus-patients-artistes » s’est constitué pour un vrai travail de fond, issu des échanges entre participants. Et à la fin, c’est un peu nous qui bénéficions d’une thérapie.
« Tout devient négatif »
On s’attend évidemment à des clichés témoignant de l’enfermement, mais celui sur l’oiseau capté avant de s’envoler donne un arrière goût des rêves de liberté, « à cet oiseau, je voulais lui dire, ‘libère-moi’ ! », nous explique « Brams », toujours incarcéré, mais exceptionnellement présent lors du vernissage de l’expo ce vendredi à Bureau Vallée (à côté de HD, à Kawéni).
Un des textes, « Démarches d’incertitude », décrit l’enfermement : « Vraiment, je perds le contrôle de tout ce qui se passe dehors, et tout devient négatif, rien qui sort de positif. Parfois, même quand je suis appelé pour avoir des nouvelles de mes proches, je stresse que l’on m’annonce que l’un de mes proches est mort ».
« En 14 ans, je n’en ai jamais vu un qui soit heureux d’être en prison »
A côté de Brams, un grand gaillard, mince, il vient juste de sortir, après 14 ans. Sur les raisons qui l’ont amené là, il ne veut pas s’étendre, il préfère évoquer cette expérience : « Ça m’a donné beaucoup de réconfort, et surtout, ça m’a donné confiance en moi. Je ne savais pas que j’étais capable de faire du si bon boulot. Il faut dire qu’à l’intérieur, tu es traité comme un moins que rien. C’est le but de l’expo, montrer au gens comment c’est à l’intérieur. Ce n’est pas vrai que des jeunes disent qu’à Majicavo, ils ont à manger et un endroit où dormir. En 14 ans, je n’en ai jamais vu un qui soit heureux d’être en prison. Comment ce serait possible en étant enfermé nuit et jour, en n’étant jamais libre d’aller où tu veux sans avoir ton mot à dire. On sort encore pire que quand on est entré. La réinsertion, il n’y a pas les moyens derrière, il faut le vouloir soi-même, faire un gros travail sur soi ».
Avec une formation d’électricien en bâtiment, et fort de cette nouvelle expérience qui l’a « épanoui », « heureusement que je suis tombé sur ces deux personnes du CHM », il s’est mis en recherche d’un boulot, « j’ai toujours été optimiste. S’il y en a qui réussissent, pourquoi pas moi. »
Car la prison, si elle est un lieu de mise à l’écart, ne doit pas être une sentence définitive. Telle que le met en évidence la conclusion du discours de Michel Furet : « Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché; Et comme un œil naissant couvert par ses paupières, Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres ! »
Une exposition itinérante par la suite dans les collèges et lycées de l’île pour un travail sur la prévention de la délinquance.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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