Alors qu’il s’agit de faire le bilan de 42 ans d’indépendance pour mettre le pays sur la voie du développement, « L’appel des 43 » jette un doute supplémentaire sur la bonne conduite des Assises nationales comoriennes qui se tiennent actuellement à Moroni. Une histoire de chiffres que ces Assises, puisque c’est le M11, le mouvement citoyen du 11 août 2015, qui est à l’origine de l’idée, avec la volonté de faire un bilan de la gouvernance depuis l’indépendance des Comores en 1975. Il est composé d’anciens dirigeants du pays et des membres de la société civile.
Leur objectif est à la fois de dénoncer les freins, comme les coups d’Etat, avec assassinats, ou la corruption, et de rechercher un modèle de croissance approprié à la culture qui ne peut prendre essor que sur une économie structurée, on avait vu que le premier acte du président Azali Assoumani avait d’ailleurs été de s’attaquer aux problèmes des coupures d’électricité.
Une opportunité inouïe pour l’union des Comores de faire le point et de partir sur de bonne base, si l’ensemble des dirigeants politiques et des populations des 3 îles se l’appropriaient comme cela semblait être le cas. Une telle prise de conscience n’a été vue à Mayotte que lors de l’organisation du toilettage institutionnel, mais jamais lors d’Etats généraux ou d’Assises.
Mais très tôt, des doutes ont été émis, et des mouvements se sont désolidarisés. En novembre 2017, ce fut un groupement de partis politiques d’opposition qui annonçait sa décision de se retirer du Comité de pilotage des Assises nationales. Puis, les membres du Comité d’organisation les ont imités, dénonçant des dysfonctionnements.
Un bilan en dessous des attentes
Depuis ce mardi 6 février, ce sont 43 citoyens, intellectuels pour la plupart, qui lancent un « appel pour la poursuite d’un dialogue fédérateur ». Une pétition à signer en ligne, au bas de laquelle on trouve la liste des signataires, une membre du M11, le président du Centre de Recherche scientifique, un ancien conseiller à la Cour Constitutionnelle des Comores, un compositeur, des chefs d’entreprise, des écrivains et des journalistes. Ils évoquent « une déception à la mesure de l’ambition qui a accompagné cet exercice ».
Ce n’est pas une énième défection, mais une tentative de « sauver les Assises ». En partant de la lecture du bilan produit, qui devait « permettre de tirer les leçons pour une meilleure conduite des affaires publiques ». Attendu « sans concession, ni complaisance », il est « en deçà des expectatives » : « Nous sommes extrêmement perplexes sur la qualité des recommandations qui pourront découler d’un bilan aussi peu approfondi. »
Pour arriver à une analyse exhaustive et collective de la situation, ils appellent les organisateurs à regrouper les brebis égarées, « dont les élus locaux et certains exécutifs insulaires » en les incitant à s’asseoir autour de la table des Assises. Opération compliquée néanmoins par le nombre de dysfonctionnements observés par tous et listés par les auteurs de l’appel, dont « les sommes colossales engagées sans transparence », « les mécanismes de prise de décision, et plus globalement le caractère d’improvisation qui a dominé tout le processus »… En gros, l’organisation des Assises pêche par ce qu’elles sont censées dénoncer, et qui « ont amené le pays au bord du gouffre. »
Une tournante qui tourne les têtes
Et cela peut aller au delà d’un constat d’échec. Car si l’image du pays n’en sort une nouvelle fois pas grandie, on peut craindre de ces atermoiements une nouvelle déstabilisation politique, liée à « la menace qui pèse sur l’unité nationale ».
En effet, le débat qui sous-tend ces Assises se porte sur la tournante qui assure tous les 5 ans (anciennement 4 ans avant le président anjouanais Sambi) une présidence à l’une des 3 îles en alternance. Après le Mohélien Ikililou Dhoinine, c’est au tour du Grand comorien Azali Assoumani. Des bruits courent sur une volonté non affichée d’accroitre cette durée au pouvoir, ce qui incite des observateurs à demander la fin de la tournante, pour se lancer plutôt dans une élection générale.
Pour tenter de sauver l’exercice d’autocritique salutaire en cours, les signataires de l’appel proposent des préalables à toute décision : la garantie d’un consensus avant toute adoption de recommandation, surtout si elles sont déterminantes pour le pays, la programmation de réflexions ultérieures et complémentaires aux Assises, avec la participation de tous les partis politiques, de l’ensemble de la société civile.
« Appelons les hommes et les femmes impliqués dans cet exercice à mesurer leur responsabilité face à l’histoire ainsi que les conséquences qui pourraient découler d’une conduite hasardeuse du processus », conclut-ils.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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