En préambule, rapportons les propos, récents, que Philippe Nikonoff, directeur du cabinet A6CMO, conseiller des élues locaux, nous transmettait à propos de la crise actuelle à Mayotte : « Je suis un défenseur de l’impôt mais si les gens payent (et proportionnellement plus qu’en métropole !), et que leur situation se dégrade de jour en jour, comment voulez-vous qu’ils ne soient pas en colère ? » Il avait fortement contribué à la réduction de 60% des impôts locaux. Revenons sur l’historique.
A la suite des flambées des taxes foncière et d’habitation à Mayotte lors de la mise en place de la fiscalité de droit commun en 2014, les élus s’étaient fait le porte-parole de la population, et le premier ministre de l’époque, Manuel Valls, s’était engagé sur une refonte fiscale.
Les maires avaient planché sur le sujet avec le cabinet A6CMO de Philippe Nikonoff et avec Guillaume Jaouen (Mzé Conseil), qui mettait en évidence des valeurs locatives à Mayotte supérieures à ses voisines métropolitaines, avec en corollaire un impact insupportable sur le portefeuille des ménages.
Fort de la demande des maires et du président du Département de revoir tout ça à la baisse, le sénateur Thani Mohamed Soilihi avait déposé un amendement à la Loi Egalité réelle et arrivait à ses fins : la valeur locative serait diminuée de 60% à Mayotte, baissant d’autant donc les taxes foncière et d’habitation. Réjouissant pour les habitants qui apprenaient qu’elle était identique au centre-ville de Bordeaux… sans tout à fait les mêmes prestations d’aménagement urbain.
Coupe de 60% dans le budget
Appelé à compenser ce manque à gagner pour les communes, l’Etat ne fait pas un gros sacrifice, il est aussi fortement contributoire aux titres des propriétés foncières de l’île. D’autre part, rappelons qu’il ne compense pas les non imposés à la hauteur de ce qu’il devrait auprès des communes, puisque seulement la moitié des contribuables sont identifiés. Un montant évalué à 20 millions d’euros par an.
D’autant plus indispensable que pour les communes, c’est la contraction de l’un des postes de recettes les plus importants depuis la mise en place de la fiscalité de droit commun en 2014. Le président de l’Association des Maires de Mayotte (AMM) était donc monté à Paris, pour sensibiliser ses pairs de l’Association des maires de France. François Baroin, son président, avait d’ailleurs transmis le message notamment au ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin. Un amendement déposé et défendu par Mansour Kamardine contraint l’Etat à compenser. Se posait la question du mode de compensation.
Dans un courrier transmis le 6 mars 2018 (Lire Circulaire budgétaire 2018) aux présidents d’intercommunalités et maire, la préfecture de Mayotte fait état d’une « compensation de la perte des recettes qui ne sera versée qu’en 2019 », les invitant à « minorer d’autant le montant à inscrire en recettes fiscales sur le budget 2018 ». Une coupe de 60% dans le budget ?! Nous avons contacté Saïd Omar Oili, président de l’AMM pour qu’il s’explique sur cette perspective.
L’octroi de mer en bouée de secours
« Nous avions deux solutions. L’Etat nous a proposé de verser une compensation pour 2018 sur une base forfaitaire », c’est à dire un montant fixe, « avec le risque que ce chiffre soit repris les années suivantes ». Un système où les communes perdraient beaucoup.
Nous avons vu que 50% seulement des contribuables étaient identifiés, et avec l’espoir que cette proportion augmente, notamment grâce aux progrès de l’adressage, les recettes des communes vont considérablement augmenter, et donc la compensation par l’Etat aussi. Surtout que nous avons vu qu’il devait mettre la main à la poche à la place des ménages non imposables.
Une compensation fixe que l’élu a donc refusé, « mais la perte de recettes sera compensé en 2018 par le montant croissant du produit de l’octroi de mer », qui est partiellement transféré du conseil départemental aux communes sur 3 ans. Il sera de 16 millions d’euros cette année, « or notre perte sur la taxe foncière est de 12 millions d’euros ».
Les communes ne vont donc pas le sentir passer, et il ne devrait donc pas y avoir de coupe budgétaire, selon Saïd Omar Oili, « seules les intercommunalités vont le sentir passer dans leur perception de la taxe additionnelle, ainsi que le conseil départemental qui perd un peu plus d’octroi de mer, et un part de recettes issue des impôts. »
Cela alors que sur le plan national, une révolution similaire est en marche avec l’exonération progressive de la taxe d’habitation dès 2018 voulue par le président Macron.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
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