5, 4, 3, 2, 1. Cinq mois d’angoisse, quatre heures de procès, trois avocats dont deux venus de métropole, un témoin clé absent au procès, et des larmes de soulagement.
Le syndicaliste CGTMa du Centre Hospitalier de Mayotte Abdou Maoulida était poursuivi ce mardi au tribunal correctionnel de Mayotte pour des violences supposées envers la cadre, directrice des soins au CHM, Dominique Toul. Un procès qui a motivé un mouvement de grève au CHM en soutien au CGTiste. Une manifestation a marché de l’hôpital jusqu’au tribunal de grande instance.
Les faits remontent au 8 novembre 2017. Le CHM est alors en grève. “Un mouvement de grève important” souligne le président Lameyre, qui a mené l’audience avec le tact d’un diplomate. Un mouvement “qui affectait le CHM au point que la direction des soins avait pris la décision d’installer un poste médical avancé (un PMA) dans la cour de l’entrée des urgences.” Un PMA installé sans passer par la direction du CHM.
Des manifestants, dont Abdou Maoulida, décident alors de procéder au démontage de la vaste tente rectangulaire, considérant que cet édifice porte atteinte au droit de grève. Accompagnée de la cadre supérieure Nicole Cogghe et de trois autres responsables, Dominique Toul tente alors d’empêcher le démontage, tandis que les syndicalistes défont les nœuds qui font tenir la tente en place. “M. Maoulida est en action de démontage, relate le président, il indique à Mme Toul de ne pas s’approcher de sa personne et de ne pas le toucher. Il semble qu’à ce moment-là il y a un geste de dégagement et qu’intervient la chute”. La chute, c’est celle de Dominique Toul, dont la tête heurte le sol en béton et qui perd connaissance. Elle n’a depuis aucun souvenir des minutes précédent l’incident. 12 jours d’ITT sont prononcés par le médecin qui constate un traumatisme crânien.
Si plusieurs syndicalistes disent qu’elle est tombée toute seule, un témoignage, celui de Nicole Cogghe, affirme qu’Abdou Maoulida a “violemment poussé” Dominique Toul, entraînant sa chute “Elle a été inconsciente environ une minute, j’ai eu très peur” témoignait-elle en audition. C’est d’ailleurs le seul témoignage à charge. La victime ne se rappelant de rien, et les autres cadres présents n’ayant jamais été entendus dans ce dossier. Absente lors du procès, ce témoin à charge n’a pas pu confirmer ses accusations à la barre.
Des accusations niées dès le début
Seul élément présenté en novembre comme concluant une vidéo qui a vite fuité dans la presse ne permet pas de tirer de conclusions sur ce qui s’est passé. De toutes façons, l’ordinateur du tribunal ne disposant pas du logiciel permettant la lecture du fichier jusqu’alors gardé sous scellé, cet enregistrement n’a pu être projeté lors de l’audience.
Abdou Maoulida quant à lui, a toujours nié tout acte de violence. Il mime un geste de rejet, qui tel qu’effectué dans le tribunal, semble peu à même de provoquer une chute.
“Auriez-vous pu face à ce geste avoir un mouvement de recul et tomber” interroge le président ? “C’est possible, je ne sais pas” répond la victime qui porte encore les séquelles neurologiques de la chute, à commencer par l’amnésie.
Le prévenu est lui aussi affecté par les accusations. Depuis les faits, il souffre de dépression et n’a toujours pas pu reprendre le travail.
Malgré son absence de souvenirs, la plaignante a fait venir un avocat de métropole, Frédéric Laurie, aux frais de l’hôpital. “Cet accident, ou plutôt se reprend-il aussitôt, cette agression, constitue un traumatisme médical et moral”. Il évoque “une chef de service battue, frappée dans le cadre de ses fonctions”. Des termes dont la violence dépassent de loin les éléments du dossier. Ses demandes de dommages et intérêts semblent tout aussi excessives. Parce que la cadre a obtenu sa mutation à Nîmes suite à ces événements, il réclame 10 000€ de préjudice moral, 11891€ par an jusqu’à sa retraite pour les 40% d’indexation qu’elle n’aura plus en métropole, 5800€ pour ses frais de déménagement, autant pour les frais d’avocat et Près de 1000€ de frais médicaux. Enfin pour le préjudice corporel, il réclame une provision de 40 000€, en attendant une expertise.
4 mois de prison avec sursis requis
De son côté, Emilie Guegan, substitut du procureur, réclamait 4 mois de prison avec sursis en guise de peine d’avertissement. “Ce procès n’est pas celui de la légitimité de la grève, ou de l’installation de la tente. Travailler au CHM, c’est travailler dans des conditions épouvantables, pas dignes. Parce qu’il y a le monde, la barrière de la langue, le manque de moyens. Le but de ce procès est de déterminer si oui ou non M. Maoulida a exercé des violences. Le simple fait de pousser quelqu’un, ce sont des violences, il faut en assumer les conséquences pénales, poursuit-elle. On n’en serait pas là si les conséquences étaient minimes. Mme Toul le dit, on lui a enlevé un petit bout de vie, des instants dont elle ne se souvient pas. Mais elle aurait pu plus mal chuter” continue la représentante du parquet qui estime chanceux de ne pas requérir devant “une audience collégiale pour homicide involontaire”.
“Ces faits de violence ont causé un déchirement, dans la vie de Mme Toul, mais aussi au sein du personnel du CHM, condamné à travailler ensemble. Il y a des répercutions importantes. Je vous demande d’entrer en voie de condamnation.”
Enfonçant le clou, la procureure rappelle que le syndicaliste, qui aurait poursuivi son démontage alors que Dominique Toul était inconsciente, n’est pas poursuivi pour non assistance à personne en péril, mais que ne pas avoir porté secours “c’est moche”.
Le témoignage à charge mis à mal
Pour la défense d’Abdou Maoulida, la CGT avait fait venir de Paris l’avocat Slim Ben Achour. “La charge repose sur le témoignage de Mme Cogghe, et c’est tout” attaque-t-il. “Elle a écarté les personnes alentours et demandé à un médecin d’intervenir” relate-t-il, expliquant ainsi qu’il n’était ni possible, ni utile, aux manifestants de lui porter secours. Il s’étonne de l’absence de ce témoin clé. “Mme Cogghe n’est pas là aujourd’hui, elle n’est même pas citée à l’audience. Le dossier pourrait s’arrêter là, tous les autres éléments montrent qu’il est innocent? Il s’agit d’un accident, et ça ne peut pas constituer une faute pénale.” Il rappelle en outre que Nicole Cogghe est “une opposante syndicale, je ne comprends pas qu’on donne autant de crédit à son témoignage dans ces circonstances. Ce dossier repose sur une allégation visant à réduire le mouvement social.”
Il accuse aussi les enquêteurs d’avoir mené les investigations à charge. “Les policiers ont refusé certains témoignages, des auditions n’ont pas été accordées. Il y a des dizaines de personnes sur les lieux, ce n’était pas difficiles d’entendre du monde. Quel est l’intérêt de n’entendre que Mme Cogghe ? Il ressort des pièces du dossier que ce n’était qu’un accident, exploité à des fins syndicales par elle” conclut-il, plaidant la relaxe.
Me Ibrahim, autre avocat de la défense, demande lui aussi la relaxe. “La jurisprudence dit qu’il faut une intention dommageable pour reconnaître quelqu’un coupable. Il n’a nullement poussé Mme Toul.” L’avocat explique avoir fourni les numéros de cinq témoins dont aucun n’a été entendu. “Le doute doit profiter au prévenu”.
Le prévenu qui, voix tremblotante à la barre, ne peut cacher son émotion. “On me demande de m’excuser pour quelque-chose que je n’ai pas fait. J’ai 9 enfants, je perds 500€ par mois de salaire depuis six mois. Je trouve ça injuste. C’est tout ce que j’ai à dire.”
“Je suis en capacité de rendre ma décision” a d’emblée rebondi le président, qui a rendu son jugement “sur siège”. Saluant la “qualité de l’écoute et de l’attention” lors des procès, il estime que “l’intention et la volonté dolosive ne sont pas établis. Le caractère accidentel s’impose. Les seules allégations à charge ne peuvent constituer une preuve suffisante pour caractériser la culpabilité de M. Maoulida. Il y a lieu de le relaxer.”
Soulagé, Abdou Maoulida s’en est tenu à un court commentaire. “Cela fait 6 mois que je ne dormais pas. Je suis juste content que ça soit fini,” avant de sortir sous les bravos de ses supporters.
Y.D.
Comments are closed.