CARNET DE JUSTICE. «Nous n’étions pas présents. Il n’y a pas de témoin. Pas de vidéo. Une confrontation qui n’a pas été faite pendant l’enquête. Le tribunal doit se débrouiller avec ces éléments-là.» Ce mardi 11 mars, le constat de la procureure Laurence Prampat est simple : dans cette affaire, c’est parole contre parole. La question est donc de savoir qui sera le plus crédible.
Le prévenu et la victime sont convoqués pour une histoire de 10 euros. La monnaie que devait Ibrahim à Attoumani après un achat de cigarettes. Le client règle ses quatre euros avec un billet de 20. Dans le Douka de Dembéni ce 23 septembre 2013, Ibrahim ne lui aurait rendu que quatre euros, demandant au client de repasser pour chercher les 10 manquants. Mais lorsque l’acheteur revient, la scène qui aurait dû être d’une extrême banalité dégénère.
D’un côté, il y a la version du prévenu. Le client est arrivé, alcoolisé, munie d’une pierre dans chaque main et s’apprête à lancer ses projectiles. Ibrahim se retourne, saisit une barre de fer qui bloque la porte derrière lui et la lance en direction d’Attoumani. Elle le frappe au visage avant que le client menaçant ne prenne la fuite. Il s’écroule 50 mètres plus loin.
Transporté pour des soins au CHM, il obtient un certificat d’ITT (interruption temporaire de travail) de deux jours.
Qui est le menteur ?
La même scène racontée par la victime ne déroule pas du tout de la même façon. Oui, Attoumani est bien venu réclamer sa monnaie. Lorsqu’il s’avance vers Ibrahim, celui-ci saisit la fameuse barre, le frappe deux fois au visage puis une troisième fois sur le bras que la victime place devant lui pour se protéger. Il s’effondre alors dans la douka. Me Simon, l’avocat de la victime décrit des blessures bien plus lourdes que ne le laisse supposer les deux jours d’ITT : «La victime a perdu des dents. Il a de graves problèmes dentaires dont il souffre encore aujourd’hui» et qui l’empêche de travailler. Attoumani n’a pas les moyens d’aller chez le dentiste pour bénéficier des soins nécessaires.
«C’est des mensonges», répond Ibrahim. «Où sont les expertises pour certifier de son état ?», rajoute Me Ahamada, l’avocat du prévenu.
Pour tenter d’y voir plus clair, la procureure propose alors de reconstituer la scène à la barre du tribunal. Ibrahim, a-t-il pu raisonnablement avoir le temps de se retourner pour se saisir de la barre avant que le client ne lui jette les pierres ? Difficile de se faire une idée.
Une légitime défense contestée
L’avocat de la victime réclame 5.000 euros pour les douleurs, 1.000 euros de préjudice esthétique, 3.900 euros pour «perte de chance» pour le travail… et 10 euros, la monnaie qu’on ne lui aurait toujours pas rendu.
La procureure confie ses doutes sur la version du prévenu et anticipe les arguments de légitime défense que ne manquera pas de mettre en avant la défense. Pour elle, la réaction d’Ibrahim n’a pas été proportionnée. Elle fait d’ailleurs écho aux questions du juge Soubeyran : Ibrahim n’aurait-il pas pu faire autrement que de frapper le client ? Elle demande 5 mois de prison avec sursis et deux ans de mise à l’épreuve.
Stupéfaction de la défense qui ne s’attendait pas à une telle sévérité. Me Ahamada remet en avant les doutes, l’enquête bâclée, «la victime qui n’a pas forcément raison parce qu’elle saigne» d’autant qu’elle était alcoolisée au moment des faits… «On ne demande pas cinq mois de prison pour deux jours d’ITT !»
Ibrahim écope finalement de trois mois d’emprisonnement avec sursis. Quant à l’indemnisation, le tribunal renvoie la décision à une future audience civile. La victime devra alors présenter des expertises pour obtenir réparation.
Parole contre parole, cette fois, celle de la victime a fait la différence.
RR
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