Aussi discrets qu’intéressés, dix jeunes du centre Nyamba de Mamoudzou se sont rendus au tribunal correctionnel le 25 avril dernier. “On voulait voir comment ça se passe, comment on juge quelqu’un, explique un des jeunes. Aussi savoir ce qu’on doit faire et ce qu’on n’a pas le droit de faire. J’ai appris des choses.”
Suite à cette visite, le groupe avait rencontré à la sortie de la salle d’audience le juge Daniel Rodriguez, qui avait proposé de les rencontrer dans un cadre plus informel pour répondre à leurs questions. Notamment parce que, faute de micro fonctionnel dans la salle, les jeunes n’ont pas entendu grand-chose des débats.
“C’est toujours important de savoir quelle est la Loi, la loi commune qu’on partage tous” explique en préambule le magistrat, qui a ouvert le débat sur la superposition de différentes conceptions de la justice. “Ici c’est le Coran qui est la loi de la majorité des gens, il y a des juges comme les Cadis dans ce domaine-là. Mais dans la société laïque, la loi qui s’applique, c’est celle qui est votée par les représentants du peuple. C’est la loi pénale”.
Interrogés sur cette dualité, les jeunes sont tous unanimes. La loi de la République doit primer, le reste n’est qu’affaire privée.
“Le fundi a dit que quand un voleur récidive, il faut lui couper la main” intervient, circonspect, un des participants. Dans le Coran il y a des choses bizarres désapprouve-t-il. Il faut obéir aux lois de la République.”
“Dans les codes, tout est prévu, lui répond le magistrat. On ne peut pas, nous, juges, inventer des sanctions. On ne peut pas couper la main ou donner des coups de bâton car ce n’est pas prévu dans la Loi.”
Débat sur le droit de la presse
Le débat a rapidement pris le chemin des affaires suivies le 25 avril, notamment celle concernant la plainte de Thierry Galarme contre Flash Infos. “Est-ce que selon vous on a le droit de dire ce que l’on veut dans un journal” interroge Mahaut Clérin, animatrice en service civique au centre.
“On ne doit pas dire ce qui est de la vie personnelle” tente une jeune fille. “Pourtant dans la presse people, vous aussi vous lisez la vie personnelle des autres” relève l’animatrice.
Le juge s’explique sur cette nuance. “La jurisprudence a toujours considéré que quelqu’un qui s’expose, qui est public, le public le droit de connaître des choses de manière plus large sur lui.”
Dans l’affaire visant la Somapresse, il rappelle brièvement les faits, l’expression “mégalomane” et les accusations de “malversations”. Sans dire aux jeunes la décision du tribunal. Là encore, le sujet fait débat.
“Le journal doit être condamné car il dit des choses sur une personne qui ne veut pas que ça soit publié” estime celle qui jugeait quelques minutes plus tôt qu’il fallait respecter la vie privée. “Le journaliste a fait son travail, c’est son boulot, c’est à l ‘autre de prouver que ce n’est pas vrai” réplique son voisin. Huit jeunes votent pour trancher la question. Cinq pour la relaxe, trois pour une condamnation du journal. Bingo. “Le journal a apporté des preuves, des extraits de compte avec des choses étranges” résume le juge. ” Etrange, ça ne veut pas dire que c’est interdit, mais le journaliste a fait son boulot. Le journal n’a pas été condamné, sinon des gens vont croire qu’ils peuvent faire n’importe quoi et que personne ne le saura.” A l’appui de cet argumentaire, l’affaire Cahuzac, en toile de fond, emblématique de ce qu’une enquête journalistique peut apporter à la justice.
Restait un point à débattre, quid de la présence de journalistes à l’audience? “La publicité des débats, c’est la garantie qu’on ne fait pas n’importe quoi entre nous, plaide Daniel Rodriguez, qu’on respecte la procédure.”
Entre la liberté de la presse et la justice, au fil des comparaisons entre ce qu’ils connaissent de la France et des Comores, cette grosse heure de débats aura permis de nombreux questionnements, sur la place de la jeunesse, les manières de changer les choses ou de prendre sa vie en main. Avec une conviction, c’est plus facile ensemble. Et de reprendre en cœur, Ouvoimoja.
Y.D.
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