La vente de ciment contenant du Chrome VI est au centre de règlements de compte entre les deux majors de la place. Une affaire d’analyses qui remonte jusqu’en préfecture.
Trois importateurs locaux se partagent le marché du ciment à Mayotte : Lafarge, Ballou et IBS. La Dieccte ne souhaitant pas communiquer sur l’actualité de ce dossier, nous n’avons pas les chiffres exacts des parts de marché, mais elles avoisineraient 60% pour le premier, 30% pour le second et 10% pour IBS.
En août 2012, une première alerte est donnée par le préfet, sur demande de la Direction du travail (Dieccte), qui prend un arrêté d’interdiction d’importation de ciment ayant une teneur en chrome VI supérieure à la norme européenne de 2mg par kilo. Elle peut en effet provoquer, chez ceux qui le manipulent, des allergies importantes, des problèmes respiratoires etc. Une concentration élevée que l’on peut également trouver dans l’eau, l’air ou le cuir.
A la fin de l’année 2012, ça s’agite : la société Lafarge Mayotte (au capital majoritaire Groupe Lafarge, mais où la société Cananga est également présente), fait appel à la Répression des fraudes (DGCCRF) pour contrôler la conformité du produit vendu par la société Ballou. Cette dernière voit sa marchandise placée sous celés, alors qu’un contrôle concomitant des autres sociétés fait apparaître un taux de chrome VI anormalement élevé dans le ciment de Lafarge Mayotte et d’IBS.
Diminuer le chrome VI… tout un art
La société Lafarge Mayotte utilise un traitement à base de sulfate d’étain pour diminuer le taux de Chrome VI, «conformément à la législation en vigueur» signale l’avocat de ses dirigeants Me Nadjim Ahamada. Car les résultats des analyses de l’expert de la Dieccte sont mauvais et ne correspondent pas à ceux de Lafarge : le directeur du site et son second sont alors placés en garde à vue par le juge d’instruction Hakim Karki, puis mis en examen.
Pour Me Mansour Kamardine, avocat de Ballou, l’écart entre les deux résultats s’explique, «c’est le préfet lui-même qui a signalé, il y a quelques mois, que seul le traitement à chaud par sulfate d’étain était efficace. Or, Lafarge le pratique à froid !».
L’avocat en déduit donc qu’en organisant la distribution du ciment Lafarge «pour qu’il n’y ait pas pénurie et donc trouble à l’ordre public, le préfet a privilégié la paix sociale au détriment de la santé des consommateurs de ciment». Il annonce que la société Ballou va demander au juge d’instruction l’audition de certains témoins, «dont le préfet, qui aurait du informer le procureur. A-t-il voulu protéger une société du CAC 40 ?»
Lafarge Mayotte convoquée par le juge d’instruction en décembre
Pour Nadjim Ahamada, la polémique est ridicule : «que va apporter au dossier l’audition du préfet ?». Et sur le fond : «si mes clients pensaient que leur taux de Chrome VI étaient mauvais, pourquoi auraient-ils dénoncé leurs concurrents ?». Selon lui, ils risquent 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende, «seulement pour infraction au code de la consommation».
Pour l’instant, impossible pour les ingénieurs de Lafarge Mayotte de faire de nouveaux tests, «les celés étant posés sur les stocks de ciment».
Enfin, nous apprenons que la société en tant que personne morale est convoquée en décembre pour être mise en examen par le juge Hakim Karki.
La préfecture ne souhaite par réagir pour l’instant.
Anne Perzo-Lafond
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