En jeu : un compte bancaire pour l’accès aux droits des populations les plus démunies. Présentée comme un débat entre «les forts et les porte-paroles des plus faibles», la rencontre entre les banques et les associations a permis aux humanitaires de faire remonter leurs doléances.
Selon la Fédération bancaire française, 97 % des Français en âge d’accéder aux services bancaires disposent d’un compte. A Mayotte, ce taux de bancarisation était de 53% en 2011. «Il y a corrélation entre ce taux et le niveau de développement» constate Yves Mayet, directeur de l’IEDOM (Institut d’émission des départements d’outre-mer). La jeunesse de la population, la faiblesse des revenus des ménages, le paiement en liquide et le taux de population étrangère en sont les explications.
L’ouverture d’un compte est pourtant un passage obligé pour accéder à plusieurs droits et services. C’est ce qu’ont relevé les associations humanitaires Tama, Secours Catholique, M’saidié (Auteuil), Solidarité Mayotte, Croix Rouge, Acfav et Médecins du Monde qui avaient porté leurs préoccupations au Centre départemental d’accès aux droits (CDAD).
Répondant à leurs attentes, Marie-Laure Piazza, présidente du Tribunal de Grande Instance et Anfiati Houmadi-Djoumbe, chargée de mission du CDAD, ont organisé une rencontre avec les établissements bancaires, «et ce sont les directeurs eux-mêmes qui se sont déplacés» souligne la magistrate. De fait, la Bred, le Crédit Agricole, la Banque de la Réunion, la banque Postale et la BFC étaient présents jeudi dernier dans les locaux de l’IEDOM.
«Obtenir le paiement d’une pension alimentaire lorsque son enfant est Français, accéder à une formation pour un jeune mahorais à l’état civil non finalisé, ou à des soins autres que publics, est un parcours du combattant sans relevé d’identité bancaire» retrace Christophe Vénien, délégué du Secours Catholique.
Cours de morale bancaire
Des documents indispensables à l’ouverture d’un compte, seule la pièce d’identité pose véritablement problème : «les textes disent qu’il suffit de détenir une demande de titre de récépissé» rapporte Marie-Laure Piazza. Ce qui laisse Yves Mayet sans voix, «chaque banque a ses propres procédures, mais un étranger ne peut ouvrir qu’un compte de non résident». «Elles ont été plus souples dans le cas de Cahuzac en Suisse !» rétorquait-elle…
Une autre insuffisance est dénoncée : «le Code monétaire et financier prévoit des clauses qui ne sont pas toujours respectées» indique Marie-Laure Piazza, «quand vous, établissements bancaires, refusez l’ouverture d’un compte, vous devez le justifier dans un courrier adressé à l’IEDOM qui est chargé de trouver une banque pour ce client». Mais Yves Mayet rapporte une difficulté propre à Mayotte «où 90% des titres de séjour sont rejetés… on ne peut rien garantir dans ce cas !».
«La logique économique affrontait la logique humaniste» résumait Christophe Vénien. Une approche «de forts contre les plus faibles» présentée «de manière volontairement caricaturale» par Marie-Laure Piazza, qui fit réagir Yves Mayet : «la banque est chargée de gérer au mieux l’épargne que chacun lui confie. Sa prudence est justifiée»… ce qui n’a pas été le cas en 2008, provoquant le dérapage de l’économie mondiale qu’on connait… «Il s’agissait d’insuffisances dans la réglementation interbancaire» reprend-il.
Tous les acteurs sont d’accord : les échanges ont été parfois tendus, mais bénéfiques. Et une avancée est attendue : «les patrons de banques vont rappeler à leurs cadres leur obligation de fournir des lettres de refus» affirmait Marie-Laure Piazza.
Anne Perzo-Lafond
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