A Mayotte, on ne parle pas économie, mais socio-économie. L’évolution structurelle du territoire est en effet marquée par des mouvements sociaux et, d’après l’IEDOM qui tenait ce vendredi son Conseil de surveillance sur l’île, ce n’est pas fini.
Le Conseil de surveillance a pour mission de veiller au bon fonctionnement d’une entreprise. En choisissant d’ancrer celui de l’Institut d’émission d’outre-mer (IEDOM, représentant la Banque de France) cette année à Mayotte, ses membres allaient découvrir les spécificités d’un jeune département en développement.
Les caractéristiques sont connues : une économie duale, opposant le secteur formel à une économie traditionnelle, « voire informelle et difficile à circonscrire » dira Pascal Thiais, responsable des études économiques à l’IEDOM Mayotte, qui brossait la situation économique et financière du département.
Sur ce sujet majeur, puisque nous sommes en présence d’un marché illégal toléré, Said Ahamadi, « Raos », 3ème vice-président du Conseil général, aurait bien aimé en savoir un peu plus sur la position de l’Etat, dont les services ont été démarchés jeudi par les commerçants du marché couvert. Redevables d’une patente, ils dénoncent les vendeurs à la sauvette qui proposent à proximité les mêmes produits en toute impunité. Anne Le Lorier, premier sous-gouverneur de la Banque de France bottait en touche, « personne ne représente l’Etat à la tribune ». Mais lorsqu’il fut question de la politique du gouvernement en matière de logement social, une réponse était immédiatement apportée depuis la salle…
Des analyses qui diffèrent
Il était proposé de comprendre la situation économique du département à travers l’évolution du crédit, partant du principe qu’il est une indication de dynamisme. « D’une croissance à deux chiffres de 2002 à 2008, le rythme d’octroi de crédits décélère ensuite, « les perturbations sociales sont une explication » pour Pascal Thiais. Ces prêts sont pour moitié alloués aux entreprises, et pour une bonne partie aux ménages pour l’habitat et la consommation.
L’ensemble s’essouffle donc selon l’IEDOM qui, fait nouveau, constate des créances douteuses (impayées ou en passe de l’être) en augmentation, « liées aux délais de paiement qui se rallongent à nouveau, provoquant par ricochet une vulnérabilité de tous les agents économiques ». Ce qui pèse ensuite sur la rentabilité des établissements de crédit : « le coût du risque s’est accru de 60% ». Mais tout le monde n’est pas d’accord sur le postulat de départ, « nous notons un taux de remboursement des prêts à Mayotte plutôt bon » corrigeait Monique Grimaldi, directrice de la Dieccte.
Une analyse conjoncturelle qui a en outre ses limites, les derniers chiffres produits étant de 2008. « Nous attendons les données INSEE » se défend Pascal Thiais, en particulier ceux issus du recensement (taux de population étrangère, etc.).
Quel réflexe face à l’arrivée des taxes ?
Le prévisionnel est plutôt inquiétant. Annoncé correct à moyen terme, « les fonds européens prendront le relais de transferts métropolitains éventuellement déficients ce qui améliorera la tendance », il dépendra néanmoins du court terme, de la zone tampon : « avant l’arrivée de ces fonds, les changements institutionnels apportent des bouleversements, tels que la réforme fiscale pas encore comprise ». Selon lui, l’arrivée de l’imposition pourrait provoquer un réflexe d’épargne de la part des ménages, et donc dégrader l’activité économique. Ce schéma, purement occidental, pourrait laisser la place à un autre, à l’issue plus catastrophique : la retenue à la source étant supprimée à Mayotte, les salaires risquent d’être intégralement dépensés, sans anticipation de l’impôt ! On pourra alors vraiment parler de créances douteuses…
La poursuite du Conseil de surveillance connut un bref flottement, Mahamoud Azihary, directeur général de la Société Immobilière de Mayotte (SIM), n’ayant pu être présent pour développer son exposé sur l’immobilier.
La croissance du département s’appréhende aussi par sa consommation d’électricité : +12,6% par an de 1995 à 2002 et de 7% en moyenne depuis, « en raison de la forte crise socioéconomique de 2011 ». Un système « dont la vulnérabilité et les black-out ont été réduits par un investissement de 130 millions d’euros dans l’extension de la Centrale et une ligne à haute tension », mais Olivier Flambart directeur général d’Electricité de Mayotte (EDM) ne rassurait pas plus longtemps : « il va falloir réduire l’accroissement de la consommation par des économies d’énergie car cela ne sera plus soutenable ».
La départementalisation et la Rupéisation ancrent Mayotte dans la France et dans l’Europe, avec des contraintes pour lesquelles elle doit être accompagnée.
Anne Perzo-Lafond
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