Kassurati Mattoir prête serment, ce jeudi matin, devant le tribunal d’appel de Mamoudzou. Elle deviendra ainsi officiellement avocate. A 28 ans, la jeune femme originaire de Sada est bardée de diplômes. Ses amis et sa famille seront présents : son père, retraité de la fonction publique, et sa mère qui «n’a jamais travaillé ou plutôt, elle a travaillé à notre éducation et à la campagne» corrige-t-elle en bonne féministe. Ses frères et sœurs seront aussi présents, ils ont tous pleuré quand elle a eu le CAPA, le Certificat d’aptitude à la profession d’avocat.
Elle a choisi d’exercer à Mayotte pour aider, à sa façon, à la construction du jeune département. Elle a reçu le JDM dans son bureau du cabinet de Me Fatima Ousseni.
Le JDM : Comment appréhendez-vous votre prestation de serment ?
Kassurati Mattoir : C’est une étape essentielle à partir de laquelle on a le droit d’utiliser le titre d’avocat, de porter la robe et de plaider. Ça n’arrive qu’une seule fois dans une vie, c’est pour ça que c’est important.
Le JDM : Vous travaillez dans le cabinet de Me Ousseni. C’est votre premier poste ?
KM : Vous savez, quand on étudie, on fait beaucoup de petits jobs et du coup, je connais déjà un peu le métier. J’ai fait un master professionnel à l’université de Bordeaux en droit des affaires et fiscalité, j’ai donc déjà fait beaucoup de stages dans des cabinets d’avocats et d’experts comptables.
Mais si je suis aujourd’hui dans ce cabinet, ce n’est peut-être pas dû au hasard. Au lycée, on devait faire des TPE (travaux personnels encadrés) pour développer un projet personnel. Nous avions fait un projet sur la place des femmes à Mayotte et à cette occasion, on avait accueilli Me Ousseni. Cette visite m’a marquée. Je me suis dit, pourquoi pas ce métier-là ? Et au fur et à mesure de mes études de droit, ça s’est imposé comme une évidence.
Le JDM : Vous parliez de la place des femmes à Mayotte. Traditionnellement, elles n’occupent pas la place publique.
KM : La représentation politique est dévolue aux hommes. Les combats politiques sont menés par les femmes. Mais aujourd’hui, les femmes ont, elles aussi, investi la place publique. Les femmes peuvent s’exprimer au nom de quelqu’un ou au nom d’une cause. Ce que je ferai en tant qu’avocate.
J’ai toujours eu un fort esprit d’indépendance. On me traitait toujours de râleuse au lycée, je n’étais jamais d’accord avec les autres. Avocate, c’est un métier qui permet d’avoir une grande indépendance d’esprit. On peut affirmer des prises de positions sans en répondre à une hiérarchie et ça me correspond bien.
Et il permet une gymnastique intellectuelle intéressante, on ne fait jamais la même chose, c’est un métier très vivant.
Le JDM : Quelles ont été les clés de votre réussite ?
KM : La volonté et le soutien de mes parents. A Mayotte, on prédestine les filles à se marier après deux ou trois années de fac. On disait à me parents : ‘attention, elle va faire des bêtises, il faut la marier rapidement’. Mes parents m’ont toujours soutenu et je les remercie beaucoup pour ça. Ils m’ont poussé jusqu’au bout.
Quant à la volonté, il en faut pour travailler tous les jours. Quand on part de Mayotte, on part avec des faiblesses. Le Français n’est pas notre langue maternelle et notre niveau n’est pas le même qu’en métropole. Quand on arrive à la fac, c’est très difficile. Je savais que je devais travailler deux fois plus que les autres. Alors quand les autres allaient s’amuser, moi, je restais à travailler. A la fin, tout le monde me connaissait à la bibliothèque ! Donc il faut savoir faire des sacrifices.
Le JDM : Vous avez choisi de revenir travailler à Mayotte quand d’autres auraient peut-être préféré rester en métropole.
KM : Avec la départementalisation, on a énormément de législations qui vont devenir applicables à Mayotte. Ça va créer beaucoup d’incompréhension de la part des Mahorais et donc beaucoup de travail pour les avocats. Les avocats vont apporter leur pierre à l’édifice en permettant aux justiciables de comprendre le droit commun. Donc ici, on participe vraiment à la construction du jeune département.
Le JDM : Beaucoup sont pessimistes…
KM : Pas moi. De plus en plus de jeunes Mahorais font des études longues. Même si ce n’est pas facile de trouver un emploi ici, certains créent leur propre emploi. Franchement, je suis confiante. Je suis chez moi, ce n’est pas en étant pessimiste que ça va changer les choses. Il faut croire en l’avenir et avancer.
Le JDM : A votre tour, vous irez dans des lycées pour présenter votre métier ?
KM : Ça me ferait très plaisir. Pas pour dire aux jeunes, accrochez-vous, ça va aller. Ils entendent ça tout le temps. Mais je sais que voir des gens venir pour expliquer leur métier, c’est ça qui crée des ambitions. Être une personne passionnée par son travail -parce que j’adore le droit- je sais que ça peut faire changer les choses.
Le JDM : Votre robe est prête ?
KM : Bien sûr, elle est chez moi. Elle arrive de Lyon, je l’ai commandée dans une maison spécialisée dont les artisans sont venus présenter leur travail après notre examen. Ils mettent un mois à la faire car elles sont toutes sur mesure. Vous savez, pour un avocat, la robe, c’est son mandat, ce qui lui permet d’exercer. Alors pouvoir la porter, c’est quelque chose qui compte.
Entretien réalisé par Rémi Rozié
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