Fait rare, le procureur Joël Garrigue donnait une conférence de presse un samedi, deux jours après le placement en garde à vue de trois policiers de la brigade anticriminalité (BAC) pour leur “coup d’achat” de cannabis. A ses côtés, le commissaire Philippe Miziniak parle d’une « maladresse ».
Dimanche à 9 heures: un communiqué est transmis par le Palais de Justice. Dans l’affaire impliquant des policiers métropolitains et locaux, deux ont été mis en examen des chefs de “faux en écriture publique et destruction de preuves”.
Ces deux policiers ont été placés sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer toute activité de police judiciaire (rédaction de procès verbaux), toutes missions opérationnelles de police et toutes missions de voie publique. La troisième fonctionnaire de police à l’encontre de qui aucune infractions pénale n’est susceptible d’être retenue, n’a fait l’objet d’aucune mise en examen.
Les faits ont déjà été publiés par la presse locale : il y a dix jours, une équipe de la BAC a une information sur un trafic de stupéfiants dans leur circonscription. Deux d’entre eux se font passer pour des vendeurs, « une chasse », indique Joël Garrigue. Mais sans en référer à l’officier de permanence, ni au procureur comme le veut la loi.
Une fois le trafiquant interpellé, les trois policiers l’amènent au commissariat. C’est là que des dysfonctionnements sont relevés : sur les circonstances de l’interpellation, mais aussi sur des inexactitudes du procès verbal.
« Un faux procès verbal avec un faux nom de témoin, le véhicule accidenté du suspect, dont ils ont donné une fausse marque, déposé chez lui et non au commissariat, et enfin, son téléphone jeté dans le lagon, ont incité l’officier de permanence à avertir le commissaire Miziniak, qui m’a contacté le lendemain », détaille le procureur.
Pas des policiers « ripoux »
Ce dernier sollicite l’IGPN (Inspection générale de la police nationale), qui place les trois policiers en garde à vue après les avoir entendus. Une information judiciaire est ouverte pour faux en écriture et destruction d’objets pouvant servir de preuve.
Ils sont actuellement placés sous contrôle judiciaire avec l’interdiction d’exercer leur métier sur la voie publique, « mais non relevés de leurs fonctions », précise le commissaire Miziniak qui demande une enquête judiciaire « en toute transparence, pour confirmer qu’il s’agit bien d’un dysfonctionnement isolé et non généralisé ».
Ce dérapage de trois policiers n’a pas de motivation « crapuleuse », pour le procureur : « il n’y a pas eu volonté de s’enrichir. Ce ne sont pas des policiers “ripoux”, sinon j’aurais demandé la prison. Ils se sont malgré tout comportés comme des délinquants ».
Le commissaire Miziniak qui connaît ses hommes qualifie ces faits d’actes de « maladresse, et d’inexpérience » : «sous la volonté de sortir une belle affaire, ils sont restés “dans le tunnel”, ce qui les a incités à prendre de mauvaises décisions, même si l’intention de départ était louable. »
Car les trois fonctionnaires pouvaient difficilement ignorer la procédure, l’un d’entre eux ayant été nommé officier de police judiciaire en avril 2014. Mais il avait été affecté récemment dans le service. La loi sera cependant de nouveau rappelée aux agents, indique le commissaire.
L’un des trois policiers n’est poursuivi qu’au titre de complice. Ils ont reconnu les faits et risquent jusqu’à 10 ans d’emprisonnement, et sur le plan disciplinaire, c’est le Conseil de discipline de la police nationale qui tranchera au regard de la sanction pénale, « la révocation n’est pas écartée ».
Cette affaire n’est pas révélatrice d’un contexte de trafic de bangué en évolution, « nous notons par contre la montée en puissance de cannabinoïdes, “substances chimiques” à Mayotte », révélait le procureur.
Quant au trafiquant présumé, « interpellé irrégulièrement, il sera relâché »… Le contraire de l’effet recherché par les fonctionnaires.
Une affaire qui a des parfums de la méthode de démantèlement de réseau attribuée il y a quatre ans à Mayotte au GIR (Groupe d’intervention régional) en marge de l’affaire Roukia, avec au moins un point divergent : la rapidité de l’enquête et la volonté de communiquer pour contrer toute interprétation.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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