Nous avons choisi de suivre les élections départementales en donnant la parole à ceux qui sont en droit d’attendre des actions fortes de leurs élus départementaux. Acteurs économiques, institutionnels ou associatifs, ils nous livrent leurs attentes.
Le député Ibrahim Aboubacar fut le premier interviewé, qui appelait à une campagne départementale et non municipale, avec une projection sur le développement économico-social du département « et non pas de bâtisseurs de MJC ». Nous poursuivons avec les Jeunes agriculteurs (JA).
Elhad-Dine Harouna, leur président est un peu personæ non grata auprès de la population depuis que lui et ses comparses ont déversé une bouteille d’excréments sur la tête du président du conseil général. Il s’est depuis excusé et reviendra brièvement sur les faits. Il avait été soutenu par le syndicat national des JA.
Les raisons de sa colère, demeurée intacte, sont toujours liées au foncier. Depuis l’événement, Isamël Kordjee, chargé du foncier au CG, les a contactés : des terrains ont été débloqués, il ne reste plus qu’à travailler. Mais l’homme ne s’en laisse pas compter : « nous devons auparavant évaluer le nombre de jeunes en formation susceptibles d’être intéressés.
Ce qui permet d’entrevoir un premier problème : sur 200 jeunes qui sortent du lycée agricole chaque année, certains partent en métropole, d’autres se réorientent notamment comme instituteurs, « seule reste une trentaine, dont seulement 5 se seront installés ».
Un projet de villages agricoles de 57M€ stoppé net
N’en pouvant plus de voir ces jeunes diplômés, errer sans travail faute de foncier, Elhad-Dine avait demandé au conseil général de débloquer 120 ha à la location, « des parcelles facilement libérables, 20 du côté de Combani, et 100 ha sur les hauteurs d’Hanjangua, avec tout un projet : la proximité des terrains permettait de contrer les vols, et ces villages agricoles auraient pu mutualiser leurs moyens pour mécaniser les exploitations ».
Un projet de 57 millions d’euros soutenu par Paris et l’Europe. « Mais au moment de signer, le conseil général s’est retiré… un technicien a même soufflé que le conseil général n’était pas obligé de céder des terrains aux jeunes agriculteurs ! Pourquoi conserver un lycée agricole et proposer des formations dans ce cas si on ferme sciemment les débouchés… » Ce qui avait alimenté sa colère avec l’événement de la bouse, « la population ne supporte pas que l’on demande des comptes à ses élus », justifie-t-il.
Alors que les profils des candidats aux départementales se dessinent peu à peu, l’agriculteur reproche des visées courtes : « on ne veut pas savoir combien de millions iront à untel, ou si un abattoir va être construit à Madagascar encore moins de la naissance d’un palace, mais d’un plan structuré pour l’agriculture. Gouverner, c’est prévoir et arrêtons les promesses non tenues. »
La pique et la pelle, révolues…
Des exemples, il en a : « on n’a pas dit aux Guadeloupéens, ‘il y encore beaucoup de chemin à faire’ comme on l’entend pour Mayotte. Une politique de remembrement a permis de faire évoluer le secteur là-bas, avec un effort public considérable. »
Les agriculteurs paient aussi les pots cassés des échecs antérieurs, « les élus nous reprochent des subventions allouées pour des tentatives avortées dans les années 60 ». Un passif qu’il refuse de porter, « tout investissement comporte des risques. Par exemple, chaque année au Bac les échecs n’empêchent pas des candidats de se présenter… Le Mahorais critique mais ne propose pas ! »
Sans efforts de formation au lycée, il l’assure, on va dans le mur, « il faut l’enrichir au lycée agricole, mettre en place un BTS pour que les jeunes qui ont 13 de moyenne au collège choisissent cette voie en ayant les moyens de devenir un jour ingénieur agronome. Ce sont eux qui pourront ensuite structurer l’agriculture de demain et non les élus de la Chambre que nous avons actuellement qui ne pensent qu’à importer des bovins de métropole. Au lieu de ça, on cultive l’ignorance à Mayotte ».
Un taux de réussite de 50 voire 80% à la sortie des études, ce serait un but indispensable, « avec un technicien pour accompagner, un ouvrier pour épauler. On devrait pouvoir créer 5 emplois liés ». Sans cet effort sur la professionnalisation et la formation qui assure de pouvoir manager de manière pérenne une exploitation, « nous finirons tous délinquants ou clochards », craint-il.
Mal renseignés, le peu d’agriculteurs qui ont une exploitation n’a pas la compétence de gestionnaire, « certains découvrent qu’il faut payer la sécurité sociale ».
Il n’attend pas forcément d’un conseil général la résorption d’un déficit, « quand pendant ce temps les cambriolages se multiplient », mais bien d’épauler les structures créatrices d’emploi.
« Ce n’est pas avec la pique et la pelle que va se construire l’agriculture à Mayotte, mais grâce à sa mécanisation et sa structuration », conclut Elhad-Dine Harouna.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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