La commission du Sénat veut approfondir un rapport sur le sujet de l’asile de la Cour des comptes avant de se prononcer. A Mayotte, la situation des demandeurs d’asile appelle à une réflexion sur les outils à mettre en place.
Le projet de réforme du droit d’asile qui avait été adopté en décembre par l’Assemblée nationale se retrouvait ce mercredi matin au Sénat pour examen par la commission des lois. Cette dernière n’en a pas voulu, arguant un calendrier législatif « embouteillé », notamment par la loi Macron, et en raison du rapport sur ce sujet de la Cour des comptes qu’elle devrait auditionner.
L’institution vient en effet de publier « L’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile », une critique de la politique menée par la France depuis des décennies en matière de personnes persécutées, la jugeant « pas soutenable à court terme », notamment en raison des coûts engendrés approchant les deux milliards d’euros par an.
Les associations humanitaires dénoncent une vision purement comptable de la prise en charge de la misère humaine, alors que, selon le quotidien Le Monde, le ministère de l’Intérieur a indiqué que le montant de la prise en charge de l’asile serait plus proche de 600 millions d’euros.
Le rapporteur UMP du sénat, François-Noël Buffet, a en outre souligné qu’ « il n’était pas possible d’occulter le problème de l’immigration irrégulière dès lors qu’on réforme la procédure du droit d’asile. »
« 1.900 personnes en attente en 2012 »
Le rapport de la Cour des comptes indique en substance qu’on fabrique de l’immigration clandestine, étant donné qu’à peine 1% des déboutés de la demande d’asile quitte effectivement le territoire, 10% selon la Cimade qui s’offusque que l’on puisse envisager d’expulser des personnes en danger dans leur pays.
Les procédures de demandes d’asile sont simples, mais parfois très longues : toute personne fuyant son pays pour des raisons indiquées dans la convention de Genève a le droit de demander l’asile en France. Il lui est délivré un récépissé en attendant qu’il soit convoqué, après lecture de son dossier, par l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. S’il est accepté, il obtient le statut de réfugié, et la nationalité française. Dans le cas contraire, il peut lancer un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). S’il n’obtient toujours pas gain de cause, il peut remonter un dossier auprès de l’OFPRA, mais devient expulsable.
Entre le dépôt du dossier et le rendu de la décision, deux ans peuvent s’écouler, voire plus à Mayotte, comme l’explique Romain Reille, directeur de Solidarité Mayotte : «L’avantage de ce projet de loi est d’accélérer le traitement des cas de demandes d’asile. Nous avions 1.900 personnes en attente en 2012».
Une question de survie qui peut mener à la délinquance
Depuis, les associations ont fait pression pour que le binôme OFPRA-CNDA se déplace chaque année à Mayotte, doublé par un recours à la visio-conférence. Un procédé qui ne satisfait pas pleinement l’association humanitaire, « il déshumanise, et les traductions passent souvent mal ».
L’autre grosse problématique du demandeur d’asile à Mayotte, c’est la survie. Alors qu’en métropole, ils peuvent bénéficier de l’Aide temporaire d’attente (ATA) qui se monte à 340 euros par mois, elle n’existe pas à Mayotte, « ils sont totalement tributaires de notre association ». Solidarité Mayotte est financé par l’Etat sous plusieurs biais, mais qui ne peut prendre en charge tout le monde.
A ce propos, les vendeurs à la sauvette chassés du marché, étaient pour la plupart des demandeurs d’asile en attente d’une réponse. « Ils n’ont plus rien pour survivre et risquent de se rabattre sur la prostitution ou de rejoindre des délinquants », craint Romain Reille.
Pas d’appel d’air pour l’ATA
Ils n’ont en effet pas l’autorisation de travailler, « alors que certains ont des petits boulots ». Une déréglementation serait souhaitable avec une autorisation d’un travail légal et/ou un ATA différentiel, d’un montant inférieur au RSA.
La mise en place de telles aides effraie toujours Paris qui craint les “appels d’air”, « impossible dans ce cas puisque l’ATA ne touche pas les procédures prioritaires », c’est-à-dire les demandeurs en provenance des Comores et de Madagascar.
En effet, la plupart des demandes d’asile en provenance de ces pays le sont pour des raisons économiques, ce qui ne constitue pas une urgence pour l’OFPRA, « 95% des réponses sont négatives dans ce cas ». Une information qui doit circuler pour que les candidats à l’immigration ne risquent pas inutilement leur vie sur des kwassas dans le bras de mer qui nous sépare d’Anjouan.
Un contexte qui pourrait justifier un examen global demande d’asile-immigration irrégulière comme le demande la commission du Sénat.
Il faut en tout cas légiférer rapidement. Même si la réactivité de l’OFPRA et de la CNDA est meilleure à Mayotte, on ne peut éternellement figer des populations sur un territoire où on ne leur propose aucun avenir.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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