CARNET DE JUSTICE DU JDM. On appelle cela mal commencer sa vie d’adulte. Jamel* a eu 18 ans jeudi. Vendredi, il est mis en cause pour une tentative de vol avec violence. Samedi matin, il pète les plombs face à des gendarmes et ce lundi, il est condamné par le tribunal correctionnel en comparution immédiate. Bon anniversaire !
Que lui est-il passé par la tête ? Cette question, le président Lameyre ne va cesser de la poser. A la barre, Djamel est un garçon calme, posé, qui parle un très bon français. C’est pourtant un jeune homme en plein dérapage incontrôlé. A 18 ans et 4 jours, il se retrouve donc face à 3 juges pour répondre de son comportement de samedi matin où il a enchaîné 4 délits qui pourraient lui coûter cher.
Un joint de chimique à 7 heures du matin
Pour des insultes contre les gendarmes, il est poursuivi pour outrage à personne dépositaire de l’ordre public. A 9 heures du matin, les gendarmes débarquent chez lui pour l’interpeller dans une affaire de violence en réunion qui date de la veille, l’agression d’un lycéen dans laquelle il serait impliqué. Les gendarmes le réveillent, ils sont bien reçus.
«Gros enc…, fils de p…, stagiaire de m…», c’est un festival d’insultes. Jamel n’a qu’une explication : il est sous l’effet de la chimique, une drogue qu’il consomme depuis 2013. Après avoir passé une bonne nuit et il s’est levé à 7 heures et a fumé un joint «pour se rendormir».
Sous l’effet de ce cannabis de synthèse, il enchaîne. Pour avoir opposé une résistance violente aux gendarmes, il doit répondre de rébellion. Jamel est furieux : les gendarmes n’étaient pas en mesure de lui montrer leur mandat… Il se croit dans une série américaine. «Dans notre pays, on n’a pas besoin de mandat», lui expliquent les gendarmes qui doivent le plaquer sur son lit et le ceinturer pour ne plus subir les coups de pieds et de poings. Jamel tente même de prendre l’arme de l’adjudant de gendarmerie.
CAP de médiation
Viennent ensuite les menaces : «Je vais te retrouver et te défoncer. Je vais m’occuper de toi et ta femme», dit-il à un gendarme que le jeune homme voit régulièrement faire son jogging avec son épouse. Le militaire garde son sang-froid, Jamel s’en prend alors au gendarme stagiaire. «Comme il me regardait de travers, je lui ai mis un coup de tête.» Le certificat médical indique 2 jours d’ITT.
Le président Lameyre divulgue alors l’information la plus accablante du dossier. «J’ai été particulièrement étonné lorsque j’ai découvert que vous prépariez un CAP de… médiation et de prévention. Et que vous étiez en stage depuis 28 jours à la police nationale !» L’effet est garanti.
La mauvaise spirale d’un garçon intelligent
«Ce qui est inquiétant, c’est que ce ne sont pas des faits qui sortent de nulle part», relève le procureur Léonardo, citant quatre mois de dérives. Rappel à la loi pour outrage (il avait traité un gendarme de ‘batard’), violence en réunion au mois de décembre, une sanction-réparation, une rencontre éducative avec une éducatrice de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse)… le jeune homme est pris dans une spirale infernale.
Le procureur réclame 6 mois dont un ferme et surtout un mandat, comme dans les fameuses séries américaines, mais un mandat de dépôt pour envoyer Jamel à Majicavo.
Me Julien Chauvin, l’avocat de la défense, va renverser une situation qui semble perdue. Pas question de discuter des faits. Ils sont reconnus par le prévenu. Mais il va se battre sur la peine. «Cette décision du mandat de dépôt, elle est très rare à Mayotte. Elle doit être utilisée mais pour quelqu’un qui le mérite, pas pour mon client». L’avocat va mettre en avant les qualités particulières de Jamel, rarement vues à la barre : son très bon niveau de français, ses réponses construites et polies au président, sa capacité à réfléchir à haute voix sur son avenir. «Ce n’est pas un jeune homme rempli de tatouages qui n’en a rien à faire du tribunal», insiste Me Chauvin.
Le casier, arme du tribunal
Jamel veut terminer son CAP pour ensuite intégrer un bac pro et finalement partir dans l’armée. Mais à la barre, il parle déjà de ce projet au passé : «Pour entrer dans l’armée française, il faut avoir un casier judiciaire vierge», croit-il savoir.
Pourtant, le tribunal va lui laisser une chance. Jamel est condamné à 3 mois de prison avec sursis, deux ans de mise à l’épreuve et des obligations de soins et de formation. Et les juges ont joué la carte de son avenir. Le tribunal a choisi d’inscrire la condamnation au casier judicaire B2. «Si vous tournez le dos à la délinquance, si vous choisissez de remonter la pente, le tribunal vous soutiendra et vous pourrez faire une demande pour retirer cette condamnation de votre casier.»
Jamel est donc parti libre et probablement un peu plus adulte que lorsqu’il était entré dans la salle d’audience une heure plus tôt.
RR
Le Journal de Mayotte
*Le prénom a été modifié
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