La prise de position de trois ministres sera-t-elle suffisante pour faire bouger Bruxelles ? Rien n’est moins sûr lorsqu’on évoque une «éventuelle» dérogation accordée à Mayotte pour la construction neuve de navires. Alors que les autres DOM avaient bénéficié de dérogations il y a encore 7 ans à peine.
Les pêcheurs mahorais avaient manifesté leur mécontentement l’année dernière sur l’absurdité d’une politique commune européenne visant à restreindre la surpêche, quand à Mayotte il faut au contraire la développer. Ils avaient demandé une dérogation. Le gouvernement prend désormais le relai par la plume de George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, Alain Vidalis, Secrétaire d’Etat chargé des Transports, de la Mer et de la pêche et Harlem Désir, Secrétaire d’État aux Affaires européennes.
Dans deux courriers identiques adressés le 25 juin 2015 à Karmenu Vella, Commissaire européen en charge de l’Environnement, des Affaires maritimes et de la pêche, et à Corina Cretu, Commissaire Européenne à la politique régionale, ils rappellent en préambule l’importance de la pêche professionnelle dans les Régions Ultrapériphériques, qui « contribue à l’équilibre social de territoires fragilisés par un chômage important ».
« Gisement d’emploi », « croissance de premier plan », les arguments avancés justifient à eux seuls la demande réitérée aux instances européennes de protéger les 100 milles nautiques autour de l’île, et de mettre en place une politique de compensation des surcoûts.
Permettre le déblocage de finances publiques
Mais il s’agit surtout d’appuyer les pêcheurs locaux dans leur demande de développement de leur flottille quand la nouvelle Politique commune de la Pêche est inscrite dans une logique de réduction des surcapacités de pêche, même si un aménagement est prévu pour Mayotte. Le frein porte surtout sur « l’absence de leviers de finances publiques », souligne le courrier.
Le développement embryonnaire de l’île ne lui permet pas de tuer dans l’œuf ce levier de croissance. Surtout à l’heure où le premier ministre vient de signer le document cadre Mayotte 2025, « pour construire l’avenir de Mayotte », rappellent les ministres, « avec un secteur pêche dont le potentiel a été reconnu au niveau international », notamment par le plan de développement de la pêche présenté à la Commission des thons de l’Océan Indien en janvier 2011, il y a donc 4 ans déjà.
Régis Masséaux, président du Syndicat des pêcheurs de Mayotte, regrette qu’aucun engagement ferme soit pris avec un calendrier précis pour imposer des contreparties aux pêches des thoniers senneurs qui croisent dans notre zone, et se plaint d’un autre côté des contrôles intempestifs dont ils sont l’objet, « normes, carburant, contrats de travail, visites de sécurité ».
Plan temporaire de développement de la flottille
Des tergiversations avec les instances européennes qui ne sont que prise de tête pour le patron des pêcheurs mahorais, « tout ça pour 145 barques à peu prés aux normes, et une centaine à améliorer ».
Si le courrier ministériel parle de dispositifs d’aides permises par le fonds européen FEAMP pour sécuriser une partie de la flotte existante et l’amélioration de la traçabilité du poisson dans le respect des normes sanitaires, il évoque clairement la menace pour le développement de la pêche mahoraise « largement entravé », et évoque des solutions déjà tentées ailleurs : « mettre en place un plan temporaire de développement de la flottille à l’instar de ce qui a été précédemment autorisé dans les DOM français jusque fin 2008 ».
Les ministre Vidalis et Pau-Langevin ont ensuite écrit le 6 juillet au député Mahorais Ibrahim Aboubacar pour évoquer leurs démarches auprès de l’Europe, et indiquer les premières réponses de l’Etat, certainement encouragé par la présence « pour la première fois », d’un représentant de la pêche mahoraise au Conseil du Comité national des pêches maritimes.
Sont donc annoncés des dispositifs d’avances de trésorerie « pour anticiper les sommes qui seront perçues au titre d’anticipation des surcoûts », et « dans l’attente d’une éventuelle dérogation accordée à Mayotte quant au financement de construction neuve de navires, les services de l’Etat étudient actuellement la piste d’une solution locale par un financement via différents dispositifs publics ».
Mayotte arrive encore une fois après que les dérogations accordées aux autres DOM aient pris fin. Sans certitude de pouvoir à son tour en bénéficier.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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