C’est la boutique où l’on trouve toujours le livre qui fera plaisir et où on aime traîner les samedis matin à Mamoudzou… Depuis deux ans les deux hommes travaillent à la cession de la Maison des Livres. Une aventure autant financière qu’humaine.
La maison des Livres, c’est une histoire de famille au départ, d’hommes ensuite. Lorsque, enseignant au lycée de Mamoudzou, Jean-Claude Pichard ouvre le 1er janvier 1991 une petite librairie prés du bar Fly, c’est pour mettre à disposition des élèves mahorais quelques ouvrages de littérature.
Il ne savait pas qu’il se retrouverait quelques années plus tard avec sa femme Anne-Marie et sa fille Chloé, à la tête d’une entreprise spécialisée dans la littérature, la presse, et en 2005, la papeterie avec l’arrivée de Marie-Laure Thoret, qui entre au capital. Le bâtiment bien connu des mahorais, s’étend désormais sur les hauteurs de la place mariage à Mamoudzou.
Sa fille pressentie un temps pour prendre le relai, migrera finalement sous d’autres cieux. Mais en 2008, à 62 ans, Jean-Claude Pichard prend la décision de vendre. La société Recto Verso, spécialiste de fourniture de bureau, apparaît comme un potentiel repreneur, mais les banques alertent sur sa mauvaise situation financière. L’autre tentative, ce sera avec une partie du personnel, « je gardais 20% du capital », explique-t-il, mais avortée elle aussi.
Loin des pots de vin
Un des clients de la Maison des Livres s’appelle Saïd Bastoi pour sa société de papeterie de gros Grand Format. Une discussion s’engage, les deux hommes découvrent des convictions communes, « comme celle de préférer perdre un marché plutôt que de verser un dessous de table », rapporte Jean-Claude Pichard.
Saïd Bastoi est aussi connu pour son poste de président de la CGPME Mayotte, la Confédération générale des Petites et moyennes entreprise. Ce qu’on sait moins, c’est qu’il est diplômé de l’Institut régional universitaire polytechnique de Saint Etienne en Management, stratégie et développement des organisations, de niveau Bac+5. Il est déterminé au point de se lancer alors dans une formation supplémentaire sur la transmission d’entreprise, « et il focalise son étude de cas sur le rachat de la Maison de Livre », le vendeur comprend qu’ils sont tous deux dans une logique de reprise.
En décembre 2013, c’est un projet abouti qui est présenté aux banques. La BFC se montre intéressée, notamment par les 6 millions d’euros de flux annuels dégagés par la Maison des Livres.
Bureau Vallée en invité surprise
Mais c’est le moment que choisit le grand papetier Bureau Vallée, 250 magasins en France, pour chercher un point d’ancrage sur notre territoire. Jean-Claude Pichard a les faveurs de l’enseigne, mais engagé comme franchisé en son nom, il n’a plus les mains aussi libres pour vendre le pack complet Maison des Livres-Bureau Vallée… les deux affaires se télescopent, et finissent par n’en faire qu’une. Bureau Vallée inaugure ses locaux à côté de HD le 17 août.
Le montant total de la cession, de l’ordre de un million d’euros, n’en sera pour autant pas réévalué : « le dossier était déjà ficelé auprès de la banque, le montant du prêt n’aurait pas été le même et ne serait peut-être plus passé. Et puis, c’est une manière pour moi de rendre à Mayotte ce qu’elle m’a donné », glisse Jean-Claude Pichard.
Développement insulaire et régional
Et ce 9 août 2015, jour de ses 69 ans, l’acte de cession est signé. Avec sa SARL Kaylhama, Said Bastoi, qui ne tient pour l’instant pas à s’exprimer, devient l’actionnaire majoritaire à 52% de la Maison des Livres, avec une promesse d’achat des parts restantes d’ici deux ans.
Une vente qui va bien au delà d’un simple chèque pour l’humaniste qu’est Jean-Claude Pichard : « je suis davantage dans une optique de transmission, d’accompagnement. Nous avons construit ensemble cette cession. »
De leurs discussions naît une convergence sur un développement du marché insulaire, avec une implantation éventuelle à Combani et Petite Terre, avec pourquoi pas des visées régionales. Si les jeunes se tournent de plus en plus vers la lecture, le potentiel est encore important sur l’île, pour lequel les associations et les communes ont aussi un rôle à jouer.
Même s’il avoue le côté excitant que lui a procurée la gestion de la Maison des Livres, l’éternel jeune homme qu’est resté Jean-Claude Pichard ne tourne pas aussi facilement la page d’une gestion de 25 ans. Sa joie, c’est de céder son affaire à un natif de l’île. Celui qui ne doit sa réussite qu’à lui même à Mayotte, passe ainsi le témoin : « elle est née et a grandi ici, je n’aurais pas voulu que la Maison des Livres soit reprise par un opérateur extérieur. Et puis, c’est une manière de faire taire les Cassandre, de prouver qu’il y a des Mahorais qui savent mener à bien leur projet »
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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